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— Avez-vous donc des consciences, vous autres ? Avez-vous des preuves de ce que vous avancez ?
— Peut-^etre, fit Juve 'evasivement…
— Il faut me les donner !
— Des preuves, non, je n’en ai pas, r'epondit l’'enigmatique vieillard, mais j’ai des pr'esomptions…
— 'Ecoutez, nous ne pouvons pas continuer cet entretien ici. Demain nous nous retrouverons comme d’ordinaire… ne m’abordez plus sans le mot de passe…
— Diable, pensa Juve, comment faire pour le conna^itre, ce fameux mot ?
Le policier eut une inspiration :
— Il ne faut plus l’employer, d'eclara-t-il avec assurance, car j’ai peur que notre consigne habituelle ne soit br^ul'ee… oui, je vous expliquerai pourquoi…
— Soit, que dirons-nous dor'enavant ?
— Je dirai « monoplan »…
— Et, continua Juve, moi je r'epondrai « dirigeable ».
— D’accord !
Press'e d’en finir, le lieutenant de Loubersac avait rapidement gravi les marches de l’escalier.
Il atteignait le haut du quai que Juve demeurait encore sur la berge.
Soudain il se frappa le front :
— Monsieur Henri ! appela-t-il.
— Quoi ?
— Le rendez-vous, pour demain ?
L’officier venait de faire signe `a un taxi-auto qui passait. Il se pencha sur le parapet et jeta `a Juve, `a peine arriv'e au milieu de l’escalier :
— Mais, `a trois heures et demie, au Jardin, comme d’ordinaire…
***
Le faux Vagualame, enfin parvenu sur le trottoir du quai, regardait navr'e partir au loin l’automobile qui emportait l’officier !
Mais quelques secondes apr`es, Juve riait dans sa fausse barbe blanche :
— Apr`es tout, je m’en fiche, j’ai tir'e de celui-l`a tout ce qui m’int'eressait, peu importe que je ne le revoie plus… et… `a nous deux maintenant, Bobinette…
14 – SUR UNE TOMBE
— Ah ! par exemple, tiens, quelle surprise !… Figurez-vous, dit M llede Naarboveck, que je viens d’apercevoir dans cette glace que vous nous suiviez…
L’apostrophe soudaine de M llede Naarboveck paraissait d'econtenancer Henri de Loubersac : une vive rougeur montait au front du bel officier qui, s’'etant aussit^ot d'ecouvert, serra chaleureusement dans la sienne la main que venait de lui tendre la jeune fille. Il balbutia quelques vagues excuses pour ne l’avoir point reconnue. Le lieutenant adressa 'egalement un salut aimable `a M lleBerthe qui accompagnait la fille du baron de Naarboveck.
M llede Naarboveck 'etait, ce jour-l`a, jolie comme un coeur, sous sa toque de ragondin. Plus simplement mise, mais n'eanmoins avec recherche, Bobinette la suivait en jaquette de drap gros bleu soulignant la ligne gracieuse de sa taille, cependant qu’un chapeau aux larges ailes encadrait le visage irr'egulier mais attirant de la piquante fille.
— Que faites-vous donc par ici, lieutenant ?
— J’allais… rendre une visite… c’est un tr`es heureux hasard qui m’a mis sur votre chemin. O`u alliez-vous, Wilhelmine ?
— Je vais prier sur une tombe.
— Me permettrez-vous de vous accompagner ?
— Je vous demanderai, fit-elle, de me laisser aller seule, j’ai l’habitude de prier sans t'emoins… Qu’avez-vous donc, Henri ?
— 'Ecoutez, Wilhelmine, j’aime mieux tout vous dire… Oh ! vous allez mal me juger, mais ce secret me p`ese. Notre rencontre de tout `a l’heure n’est pas fortuite, mais bien voulue… en ce qui me concerne du moins. Depuis quelques jours je suis inquiet, pr'eoccup'e… jaloux… Certes, jamais dans votre attitude, je me plais `a le reconna^itre, vous ne m’avez donn'e de motifs qui me permettent de douter de vos sentiments `a mon 'egard…
La jeune fille, abasourdie, regarda le lieutenant :
— Je ne vous comprends pas ? murmura-t-elle.
— Je serai franc, Wilhelmine, vos derni`eres paroles m’ont encore tortur'e… Allez-vous prier sur la tombe du capitaine Brocq ?
— Et quand ca serait ? ferais-je donc mal en priant pour le repos de l’^ame de l’infortun'e Brocq qui 'etait au nombre de mes meilleurs amis ?…
— Ah ! s’'ecria Henri de Loubersac avec un tremblement, l’aimiez-vous donc ?
— Si vous m’aviez suivie, monsieur, depuis d'ej`a quelque temps, vous vous seriez apercu que je venais `a ce cimeti`ere bien avant la mort du capitaine Brocq, par cons'equent…
Mais Henri de Loubersac, soudain rass'er'en'e, la remerciait avec un 'elan de franchise si spontan'e, si sinc`ere, qu’il aurait touch'e le coeur de la femme la plus rude… Or, Wilhelmine 'etait sensible au supr^eme degr'e.
Et sans intonation m'echante, lorsque l’officier lui eut demand'e `a nouveau pour qui donc elle allait prier encore, `a qui elle destinait le gros bouquet de violettes qu’elle tenait `a demi dissimul'e dans son manchon, la jeune fille murmura :