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— Pour combien de temps en avons-nous ?
Juve savait que la travers'ee durait une heure, mais, loin d’annoncer ce d'elai, il r'epondit `a Vinson :
— Trois heures.
C’est le d'elai dans lequel les paquebots effectuent habituellement le parcours de Douvres `a Ostende.
Il convenait, en effet, de parler `a Vinson de ce trajet et non point de celui qu’il effectuait r'eellement.
Consid'erant le malheureux, de plus en plus secou'e, tortur'e par le mal de mer, Juve se disait, non sans une certaine commis'eration :
— Ma foi, au moins, lorsqu’il se verra arriv'e si vite, ce sera pour lui une l'eg`ere consolation `a la mauvaise aventure qui l’attend.
La Manche 'etait de plus en plus mauvaise, et c’est `a peine si l’on pouvait demeurer sur le pont.
Au bout d’une heure et demie, car on avait du retard, l’odieuse valse du steamer s’att'enua soudain, on cessa d’entendre l’exasp'erante sir`ene. Au brouhaha des flots succ'eda un silence reposant, l’ Empressmarchant `a demi-vitesse p'en'etrait entre les jet'ees de Calais !
Cinq minutes encore, puis on accosta.
— C’est l’instant supr^eme, pensa Juve…
S’il parvenait `a faire descendre Vinson sur la terre ferme, c’en 'etait fait de la libert'e du caporal.
Sur le territoire francais, il l’arr^eterait aussit^ot.
Juve consid'era son compagnon qui gisait 'ecroul'e sur un banc. Les copieuses libations au Robert’s, le succulent d^iner pris dans un des restaurants chic des environs de Leicester Square et ensuite la travers'ee avec ses naus'ees, avaient fait de l’infortun'e caporal une v'eritable loque humaine.
Juve souleva le jeune homme, qui tenait `a peine debout sur ses jambes.
Pris de piti'e, le policier fit signe `a un employ'e. Celui-ci s’empara du bras gauche de Vinson, tandis que Juve le soutenait par la droite. Toujours sans s’apercevoir de rien, Vinson d'ebarqua, prit pied sur le sol francais…
La foule des voyageurs, ob'eissant aux indications du personnel, s’engouffrait dans la vaste salle o`u les douaniers faisaient la visite des menus colis. Mais Juve, 'evitant `a son compagnon la vue des uniformes francais, l’attira un peu `a sa gauche.
Un personnage se dressa soudain devant eux. Juve lui fit un signe. Les deux hommes se connaissaient, 'evidemment, car le policier annoncait au nouveau venu, `a voix basse :
— C’est notre homme, allons `a votre bureau !
***
Ranim'e par un cordial, Vinson reprenait peu `a peu ses sens. Soulevant p'eniblement ses paupi`eres lourdes, il regarda avec une curiosit'e m^el'ee d’inqui'etude l’endroit o`u il se trouvait : une grande pi`ece carr'ee faiblement 'eclair'ee, presque vide, avec des murs blancs et nus.
— O`u suis-je ? interrogea-t-il en se tournant vers Juve, le seul qu’il conn^ut des trois hommes l’entourant.
— Vous ^etes au commissariat sp'ecial de la gare de Calais. Caporal Vinson, j’ai le regret de vous dire que je vous mets en 'etat d’arrestation.
Vinson venait de s’apercevoir que ses deux mains 'etaient immobilis'ees par les menottes. Il retomba lourdement dans le fauteuil o`u on l’avait assis et fondit en larmes.
Juve 'eprouvait une r'eelle piti'e pour le malheureux ^etre qui gisait impuissant, mis'erable, devant lui. Mais il n’y avait pas lieu de s’attendrir. Vinson 'etait un grand coupable, un abominable tra^itre… peut-^etre avait-il des excuses `a son crime, peut-^etre ses fautes r'esultaient-elles d’une mauvaise 'education, de d'eplorables exemples… Juve n’avait pas la mission de juger, mais uniquement de livrer le coupable `a ses juges.
— Allons ! fit-il en frappant sur l’'epaule du caporal Vinson… Venez, nous partons pour Paris…
Le malheureux h'esita une seconde, leva des yeux suppliants vers Juve, puis, r'esign'e `a son sort, comprenant que toute r'esistance 'etait impossible, il se leva p'eniblement et ob'eit au policier. Un agent de la S^uret'e s’'etait joint `a Juve, et les trois hommes s’install`erent dans un compartiment de seconde.
D’une voix faible, Vinson supplia :
— Je vous en prie, monsieur, faites qu’il ne monte personne avec nous, je serais tellement honteux d’^etre vu…
Cette requ^ete prouvait que le tra^itre avait encore un peu de pudeur et de bons sentiments. Touch'e, Juve lui r'epondit :
— Nous allons faire notre possible pour l’'eviter.
Juve s’entendit, en effet, avec le chef de train, lui exposant rapidement les motifs pour lesquels ils d'esiraient ^etre seuls.
L’employ'e, pour toute r'eponse, attachait `a la porti`ere du compartiment l’'etiquette R'eserv'e.
Le train ne tarda point `a partir.
Vinson, d'esormais r'eveill'e, – il avait trop de pr'eoccupations pour c'eder au sommeil, – m'editait sur son sort et sans doute songeait que cette seconde partie du voyage ne ressemblait aucunement `a la premi`ere !