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D'ej`a les employ'es appelaient les passagers, les invitant `a se r'epartir en deux bandes distinctes, selon que les uns ou les autres se proposaient de gagner la Belgique ou la France.
Vinson, dit Butler, dormait toujours profond'ement, Juve h'esitait `a le r'eveiller, ayant son id'ee de derri`ere la t^ete.
Le policier voulait attendre le dernier moment, l’instant supr^eme du d'epart du paquebot pour y monter avec son compagnon qu’il consid'erait d'ej`a presque comme son prisonnier.
Le capitaine Loreuil errait sur le quai et attendait flegmatiquement en fumant un cigare.
— Allons, Butler ! s’'ecria Juve soudain, en secouant le tra^itre par les 'epaules.
Celui-ci eut un sursaut, ouvrit des yeux effar'es et balbutia, la bouche p^ateuse :
— Qu’y a-t-il, que me voulez-vous ?
Mais Juve hypocritement lui souriait d’un air aimable :
— Eh bien, mon vieux, r'eveillez-vous, il faut prendre le bateau…
Confus'ement, le caporal qui titubait `a la fois d’ivresse et de torpeur, entendit les employ'es crier ces phrases significatives destin'ees `a renseigner le public :
— Steamer Victoriapour Ostende ! steamer Empresspour Calais !…
— D'ep^echons-nous ! fit Juve, en poussant son compagnon hors du wagon.
Il r'egnait un brouillard intense, et sans les puissants phares 'electriques que chacun des paquebots portait au sommet du grand m^at il aurait 'et'e impossible de s’y reconna^itre, de d'ecouvrir le long du quai les passerelles qui communiquaient avec eux.
Juve, sous pr'etexte de cordialit'e, avait pris le bras du faux Butler. Ce n’'etait pas superflu : le malheureux, qui vacillait, serait vingt fois tomb'e pendant sa marche, glissant sur les rails du train, butant contre les paquets de cordages encombrant le « Pier ».
Juve le poussa vers une passerelle : deux secondes apr`es ils 'etaient sur le pont du navire, et Vinson, qui machinalement lisait l’inscription des bou'ees de sauvetage accroch'ees aux bastingages, remarquait qu’elles portaient toutes cette inscription : Empress.
— Mais, interrogea-t-il, en faisant un effort et comme troubl'e par un pressentiment, une instinctive inqui'etude, mais n’ai-je pas entendu dire, tout `a l’heure, que ce bateau allait `a Calais, tandis que le Victoria…
Pr'ecis'ement, un matelot qui passait entendait ce propos. Il se disposait `a renseigner le voyageur, mais Juve l’'ecarta brutalement, l’air farouche.
— Non, mon vieux, s’'ecria-t-il, vous bafouillez compl`etement : c’est le Victoriaqui va `a Calais, nous autres avec l’ Empress, nous partons pour Ostende !
En r'ealit'e, Vinson, dans un 'eclair de raison, heureusement peu durable, pour Juve tout au moins, avait soupconn'e la v'erit'e : l’ Empressallait bien `a Calais, et le caporal 'etait bien `a bord de l’ Empress.
Le projet de Juve s’'etait r'ealis'e, conforme au d'esir du policier.
Juve avait m'edit'e de faire croire `a Vinson qu’on partait pour Ostende, et de le faire monter `a bord du paquebot de Calais, sans qu’il s’en dout^at. Le proc'ed'e 'etait simple, `a condition que Vinson ne s’aperc^ut de rien. En fait, il avait r'eussi. Le projecteur, accroch'e en haut du m^at, s’'eteignit soudain. Au brouhaha de l’instant pr'ec'edent succ'eda un grand silence, et l’on devinait les commandements du capitaine, transmis `a la chaufferie, aux seuls tintements gr^eles des sonneries.
Uniquement 'eclair'e `a l’ext'erieur par ses feux r'eglementaires, le paquebot qui portait la « malle » franchit les digues et p'en'etra en mer.
Il r'egnait sur la Manche un brouillard imp'en'etrable. La sir`ene se mit `a mugir lugubrement, mais, contrairement `a ce qui se passe d’ordinaire par de semblables temps, la mer 'etait encore fort agit'ee, car le vent avait souffl'e du sud-ouest durant tout l’apr`es-midi.
Et sit^ot le bateau sorti du port de Douvres, les premiers coups du tangage se firent sentir. Quelques lourdes gerbes d’eau jaillirent `a l’avant, d'eterminant un certain d'esordre parmi les passagers. Certes, Juve n’avait rien d’un marin, mais il 'etait rebelle au mal de mer, et une travers'ee un peu mouvement'ee n’'etait pas pour l’inqui'eter. Tout au contraire, il pr'ef'erait qu’il se pass^at quelque chose afin que Vinson ne p^ut, en toute tranquillit'e, se pr'eoccuper de savoir exactement o`u il 'etait. C’est qu’en effet, si la premi`ere partie du programme 'etait r'ealis'ee, la seconde restait encore `a ex'ecuter. Juve et Vinson se trouvaient en effet sur un steamer anglais, et dans le cas o`u le caporal, comprenant ce qui se passait, refuserait de d'ebarquer, peut-^etre Juve ne pourrait-il l’y obliger. Il fallait donc l’induire en erreur jusqu’`a l’atterrissage sur le sol francais.
Juve, d'esormais, 'etait le seul compagnon du caporal Vinson, le capitaine Loreuil 'etait rest'e `a Douvres, ayant, assurait-il, encore beaucoup `a faire en Angleterre.
En v'erit'e, l’officier, estimant que son r^ole n’'etait pas d’arr^eter les coupables, mais uniquement de les signaler `a la justice, avait pr'ef'er'e ne pas suivre plus loin cette filature, convaincu que le tra^itre se trouvait en bonnes mains.
Le malheureux Vinson n’'etait d’ailleurs pas en 'etat de raisonner et encore moins de s’apercevoir de la supercherie imagin'ee par Juve : il souffrait du mal de mer.