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Tout cela importait peu au faux Butler. Mais l’infortun'e caporal fr'emit d’'emotion `a l’id'ee d’^etre expos'e, ne f^ut-ce qu’un instant, aux regards curieux de la foule.
— Allons-y !
Le caporal ne pouvait se d'ecider `a quitter l’ombre de son cachot. Enfin, il fit un effort, tendit ses poignets, accepta sans murmure les menottes et, se placant entre ses deux ge^oliers, quitta la prison.
La lumi`ere du jour, le frappant brusquement au visage, lui fit cligner des yeux et, en arrivant sur le trottoir, le caporal esquissa un mouvement de recul, mais les gardiens l’entra^in`erent.
Le pauvre caporal, un peu plus loin, poussa un soupir et se laissa aller de tout son long.
Ses gardiens le port`erent jusqu’`a l’entr'ee de la cour du Conseil de Guerre. Quelques curieux, surpris de la p^aleur du prisonnier voulurent suivre, mais les gardiens firent fermer la grande porte de la cour du Conseil communiquant avec la rue, et avant de mener Vinson dans sa cellule, ils assirent le malheureux toujours inanim'e sur une chaise, dans la loge du concierge.
Le concierge offrit du vinaigre, on en frictionna les tempes du mis'erable. L’un des ge^oliers lui frappa dans les mains. Ce fut en vain : le prisonnier Butler ne donnait plus signe de vie.
— Ma foi, sugg'era le concierge inquiet, vous feriez aussi bien de le transporter dans sa cellule et faire chercher le m'edecin de service. Ce serait plus prudent.
***
— Lieutenant Servin ?
— Mon commandant ?
— Puisque vous ^etes substitut aupr`es du commissaire du gouvernement, et que me voil`a redevenu commissaire au gouvernement, vous allez me donner un coup de main pour d'ebrouiller toutes ces paperasses… Il est d'ej`a onze heures et demie et je voudrais bien aller d'ejeuner…
Le lieutenant Servin sourit, et vivement apporta sur le bureau de son sup'erieur une pile de documents qu’il classa d’une main experte.
Ce sup'erieur, c’'etait le commandant Dumoulin, qui, une quinzaine de jours auparavant, remplissait encore les fonctions de sous-chef du Deuxi`eme Bureau. Depuis quelques jours, Dumoulin avait pris possession de son nouveau poste et comptait se mettre paisiblement au courant des affaires dont s’occupait le Conseil.
Or, voici que la veille au soir il avait 'et'e avis'e `a son domicile, par une communication priv'ee du Minist`ere, qu’un d'eserteur inculp'e de trahison venait d’^etre arr^et'e et qu’il s’agissait du caporal Vinson. `A la lecture de ce nom, le commandant Dumoulin avait bondi. L’affaire Vinson, mais c’'etait aussi l’affaire du capitaine Brocq, de la chanteuse Nichoune, du plan de mobilisation vol'e, du d'ebouchoir de canon disparu.
Les pr'evisions du commandant Dumoulin soudain, se trouvaient boulevers'ees. Ce n’'etait plus le train-train habituel du Conseil, mais brusquement, pour son entr'ee en fonctions, le gros proc`es, la cause sensationnelle. Donc, apr`es avoir fort mal dormi, le commandant 'etait arriv'e de bonne heure `a son bureau pour travailler avec ses collaborateurs. Heureusement, il avait trouv'e, parmi ses substituts, un jeune officier tr`es au courant, z'el'e, le lieutenant Servin.
— Lieutenant, nous allons proc'eder sans plus attendre `a l’interrogatoire du caporal Vinson. Faites-le demander, je vois sur le registre d’'ecrou qu’il occupe la cellule vingt-six…
— Pardon, mon commandant. Vinson, 'ecrou'e ce matin `a la prison du Cherche-Midi, doit ^etre actuellement dans les b^atiments du Conseil, o`u il occupe la cellule vingt-sept.
— Vous faites erreur ; dans la cellule vingt-sept se trouve un individu nomm'e Butler.
— Oui, mon commandant, Butler, c’est Vinson…
— Je ne comprends pas. Vous devez faire une confusion, lieutenant. Le caporal Vinson a 'et'e arr^et'e hier `a la gare Saint-Lazare. On l’a conduit ici et 'ecrou'e dans la cellule vingt-six. l’en ai d’ailleurs 'et'e inform'e par une d'ep^eche priv'ee, `a mon domicile…
— Mon commandant, le caporal Vinson, qui se cachait sous le nom de Butler, a 'et'e arr^et'e cette nuit, ou, pour mieux dire, ce matin, `a la gare de Calais, comme il arrivait d’Angleterre. L’arrestation a 'et'e effectu'ee par l’inspecteur de la S^uret'e Juve, qui a men'e son prisonnier, vers six heures ce matin, au Cherche-Midi : c’est l’occupant de la cellule vingt-sept.
— Voyons, lieutenant, grogna le commandant, vous perdez la t^ete. Puisque Vinson a 'et'e arr^et'e hier `a la gare Saint-Lazare, il est 'evident qu’on ne l’a pas arr^et'e cette nuit `a Calais. Vinson et Butler, ca fait deux !…
— Je vous demande pardon, mon commandant, ca ne fait qu’un !
— Il suffit, lieutenant Servin. Faites-moi chercher le caporal Vinson qui occupe la cellule vingt-six.
— Bien, mon commandant !
***
— Approchez. Vous ^etes bien le caporal Vinson ?
— Non, mon commandant.
— ^Etes-vous le caporal Vinson, oui ou non ?
La m^eme r'eponse, avec la m^eme nettet'e, tomba des l`evres de l’inculp'e :
— Non, mon commandant !