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Comme il faisait passer Wilhelmine devant lui, de Loubersac se retourna soudain, consid'era curieusement un fiacre aux stores ferm'es qui venait de s’arr^eter non loin du parvis.
— Qu’avez-vous ?
— J’avais comme l’impression d’^etre suivi… que nous 'etions fil'es… Cela n’a pas grande importance, nous devons nous attendre, lorsqu’on appartient comme moi au service des renseignements…
— Oui, observa la jeune fille, vous aussi vous avez des secrets…
— Oh ! fit l’officier, ne se m'eprenant pas sur la na"ivet'e de cette insinuation, ils n’ont rien que de professionnel. Ma personnalit'e est nette. Ma vie peut se raconter au grand jour…
Ils 'etaient install'es depuis quelque temps sur de modestes chaises, derri`ere un pilier et dans l’obscurit'e ; `a mi-voix, Wilhelmine parlait toujours.
Tr`es franchement d’abord, elle avait dit `a Henri de Loubersac qu’elle n’'etait pas la fille du baron de Naarboveck, qu’elle ne portait ni le nom du baron, ni le pr'enom de Wilhelmine, mais qu’elle s’appelait Th'er`ese Auvernois.
Ceci n’apprit rien `a l’officier…
Wilhelmine, ou Th'er`ese Auvernois, lui raconta ses premi`eres ann'ees pass'ees dans un vieux ch^ateau des bords de la Dordogne, en t^ete `a t^ete avec sa grand-m`ere, la marquise de Langrune. Et puis, un sinistre jour de d'ecembre, un malheur effroyable s’'etait abattu sur les deux pauvres femmes. La marquise de Langrune avait 'et'e myst'erieusement assassin'ee par un jeune homme, fils d’un ami de la famille, et qui s’appelait Charles Rambert. On le croyait du moins. Orpheline d`es lors, elle se vit prot'eg'ee par le p`ere, pr'ecis'ement, de celui qu’on supposait ^etre le meurtrier de sa grand-m`ere, Etienne Rambert. Celui-ci avait recommand'e la jeune fille `a lady Beltham, dont le mari avait 'et'e lui-m^eme, quelques mois auparavant, myst'erieusement assassin'e. Th'er`ese avait v'ecu alors chez cette lady. Mais quelques mois apr`es, son protecteur, M. 'Etienne Rambert, disparaissait dans un naufrage. Wilhelmine partait en Angleterre avec lady Beltham pour habiter un ch^ateau d’'Ecosse. Deux ans s’'ecoul`erent, paisibles, au cours desquels Th'er`ese avait fait la connaissance, chez cette m`ere d’adoption, d’un diplomate 'etranger, le baron de Naarboveck. Puis lady Beltham partit pour la France, et un jour, Th'er`ese devait apprendre que la malheureuse y 'etait morte.
Le baron de Naarboveck, seule personne au monde qui, d`es lors, sembla s’int'eresser `a elle, vint, apr`es six mois, la chercher en Angleterre, la ramena `a Paris et d'ecida de la faire passer pour sa fille.
Le baron s’'etait montr'e excellent pour la jeune fille. Il lui avait appris, en outre, qu’elle poss'edait une belle fortune `a l’'etranger, qu’il lui faudrait aller la chercher un jour.
…Wilhelmine s’interrompit soudain dans son r'ecit.
— Avez-vous vu ? interrogea-t-elle d’une voix inqui`ete.
— Il me semble en effet, reconnut l’officier, mais peu importe ! C’est quelqu’un qui passe !
— Pourvu, grand Dieu, que l’on ne nous 'epie pas, murmura Th'er`ese-Wilhelmine.
— Que craignez-vous donc ?
— Vous vous demandez pourquoi mon existence est entour'ee, depuis ces derni`eres ann'ees, par tant de pr'ecautions myst'erieuses ?
— Oui, bien s^ur, dit le lieutenant.
— J’en ai parl'e `a Naarboveck. J’ai lu des collections de journaux `a la Biblioth`eque, en cachette, bien s^ur. Un nom ne cesse de revenir dans toutes nos affaires…
— Ce nom ?
— Et ce nom c’est… c’est le nom qu’on n’ose prononcer… Fant^omas…
— Ah ! fit Loubersac.
Les propos de Juve lui revenaient `a l’esprit.
Mais bient^ot la jalousie reprit le dessus.
Com'edie que tout cela, pensa-t-il, et com'edie grossi`ere destin'ee `a d'etourner mes soupcons. On veut amuser ma curiosit'e. La gaillarde se croit tr`es forte. Elle ne sait pas `a qui elle s’attaque.
Et pour en avoir le coeur net, il se leva, et, les yeux dans les yeux, il dit `a br^ule-pourpoint :
— Wilhelmine de Naarboveck ou Th'er`ese Auvernois, peu m’importe… Je veux la v'erit'e vraie : oui ou non, avez-vous 'et'e la ma^itresse du capitaine Brocq ?
Wilhelmine 'etait devenue toute p^ale. Un tremblement agita ses l`evres, blanches d’'emotion.
Soudain, elle comprit l’incr'edulit'e de l’homme auquel elle avait vou'e son coeur.
Un instant elle eut l’id'ee d’expliquer, d’expliquer encore, de vouloir convaincre et aussi de se justifier. Mais elle recula, d'ecourag'ee devant la gigantesque apparence de la t^ache. Et puis, que lui importait, du moment qu’Henri n’avait pas confiance ? La jeune fille se contint :
— Vous m’insultez, dit-elle. Retirez ce que vous venez de dire. J’exige des excuses !…
— Je maintiens mon accusation, mademoiselle, jusqu’`a ce que vous m’ayez fourni des preuves formelles.
La jeune fille s’'etait lev'ee. Pr'ecipitamment elle se dirigeait vers la porte, descendit les marches de l’'eglise et se jeta dans un fiacre qui passait.
— Adieu, monsieur, pour toujours.
Henri de Loubersac haussa les 'epaules.
Soudain, il tressaillit ; une silhouette, une ombre, se profila sous le porche de l’'eglise : un ^etre ind'efinissable disparut en courant. Henri de Loubersac comprit qu’ils avaient 'et'e suivis, 'epi'es.
27 – LES DEUX VINSON
Midi sonnait quand le caporal Vinson, enferm'e au Cherche-Midi depuis son arriv'ee `a Paris, entendit une cl'e grincer dans la serrure du cachot qu’il occupait.
Deux ge^oliers militaires l’interpellaient :
— Butler ! vous allez ^etre transf'er'e dans l’immeuble du Conseil de Guerre, o`u vous occuperez la cellule num'ero vingt-sept. Notre prison n’est que pour les condamn'es ; or, vous n’^etes qu’inculp'e, vous ne pourriez y rester…