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— Mon petit Fandor, crois-tu qu’il soit utile de d'efoncer un tiroir lorsque la serrure est ouverte ?
— Hein ? s’exclama le journaliste.
— Dame, reprit Juve, c’est ce qui a 'et'e fait ici. Regarde, je n’invente pas, ce tiroir est d'efonc'e, et pourtant la serrure est ouverte, mais je continue. Crois-tu qu’on puisse casser la glace d’une chemin'ee au cours d’une lutte sans casser une pendule qui est juste devant l’endroit o`u le coup a 'et'e port'e ?
Fandor ne r'epondit pas, mais tressaillit.
Juve disait vrai, la glace de la chemin'ee 'etait fendue, l’endroit o`u l’objet qui l’avait cass'ee 'etait tomb'e, 'etait nettement visible, il se trouvait derri`ere une pendule qui, elle, 'etait intacte.
— Enfin, continuait Juve, crois-tu encore que lorsqu’on tra^ine un cadavre au point qu’il laisse sur les tapis une tra^in'ee de sang analogue `a celle que nous voyons, le poids de ce cadavre ne redresse pas quelque peu les poils du tapis ? Autrement dit, expliques-tu comment on aurait pu tra^iner le corps de ce Baraban sur une carpette de ch`evre dont les poils sont parfaitement et r'eguli`erement inclin'es en travers ?
Fandor, encore, demeurait muet.
— Maintenant, reprenait Juve en entra^inant Fandor, et en le conduisant dans toutes les pi`eces de l’appartement, explique-moi ces autres d'etails : comment comprends-tu que des cambrioleurs, des assassins, des meurtriers, soient assez d'elicats pour ne casser, ne fracturer, ne briser, en un mot, que les objets de peu de valeur ? Or, c’est bien ce qu’ils auraient fait ici. Tu peux t’en convaincre toi-m^eme, tout le mobilier de prix est intact. Tous les objets pr'ecieux ont 'et'e pr'eserv'es du pillage. C’est au moins bizarre, hein ?
Les remarques du policier 'etaient si troublantes, ses observations si inattendues, que Fandor, un instant encore, demeurait muet.
Il retrouvait toutefois la parole pour interroger de nouveau Juve :
— Ah ca, disait-il, qu’est-ce que vous inventez donc, Juve ? Ma parole, on dirait que vous ne croyez pas qu’il y ait eu crime et cambriolage ?
Or Juve, `a ces mots, souriait tranquillement :
— Mais bien entendu, faisait-il, que je n’y crois pas ou plut^ot que je n’y crois plus. Tiens, ou je me trompe fort, Fandor, ou voici ce qui s’est pass'e ici : je ne connais pas ce Baraban, mais j’imagine que c’'etait un homme bien conserv'e. Sais-tu cela, toi ?
— Oui, avoua Fandor, c’'etait ce qu’on appelle un beau vieillard. Mais quelle conclusion en tirez-vous ?
Juve eut un grand geste du bras :
— J’en conclus, r'epondait-il, que tout ce que nous voyons ici c’est de la mise en sc`ene. M. Baraban, pour moi, a voulu faire croire `a sa mort. Il a r'epandu le sang que tu vois, il a bris'e les meubles auxquels il tenait le moins. Il a organis'e la com'edie, enfin. Et il est parti. Cherchons la femme, Fandor. Je suis bien pr`es d’imaginer que ce soi-disant assassinat a pour cause quelque fugue, en compagnie d’un jupon.
L’hypoth`ese 'etait si invraisemblable, si os'ee, si inattendue surtout, que Fandor s’'etonnait imm'ediatement :
— Bigre, disait-il, comme vous y allez, Juve, une fugue ? C’est bien vite dit, c’est une explication bien facile, mais encore faudrait-il qu’elle soit vraisemblable. Tenez, la malle, qu’en faites-vous ?
— La malle, riposta Juve, mais elle vient `a l’appui de ma th`ese, la malle, parbleu ! C’est tout simple, elle a servi pour la fugue. Ca n’est pas Baraban qui se trouve dedans, sois bien tranquille `a cet 'egard. Ce sont ses chaussettes, ses chemises, ses calecons, et peut-^etre bien les cache-corsets de la dame.
***
Deux heures plus tard, Juve ayant termin'e son enqu^ete sur les lieux m^emes du crime, et de plus en plus convaincu qu’il n’y avait pas eu assassinat, que tout 'etait, rue Richer, le fait d’une mise en sc`ene habile, quittait Fandor et se rendait `a la pr'efecture de police.
Juve, `a cet instant, 'etait persuad'e d’avoir devin'e la v'erit'e. Il n’admettait plus et ne voulait plus admettre la mort du malheureux Baraban.
Les indices ainsi retrouv'es lui semblaient, `a ce sujet, si parfaitement significatifs, qu’il n’admettait pas s’^etre tromp'e.
Fandor, au contraire, ne se tenait point pour convaincu.
« Juve se fiche dedans, pensait le journaliste en regardant partir son ami dans le fiacre qu’il avait envoy'e chercher. Juve voit toujours des choses myst'erieuses o`u les autres d'ecouvrent des choses fort simples. Sapristi, ce n’est pas un drame `a la Fant^omas, ca. Il ne faut pas penser au truc, `a l’invraisemblable. Il faut au contraire ^etre de sang-froid. »
Et, d'emolissant les arguments de Juve par la pens'ee, Fandor raisonnait ainsi :