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— Tenez, fit-il, soudain, Fant^omas, vous me plaisez, comme j’ai besoin de vous pour une affaire, je vous propose d’y participer avec moi.
— De quoi s’agit-il ?
— De tuer et de tuer pour voler ensuite.
— Bonne id'ee, le projet ?
— Je suis embauch'e en qualit'e de domestique dans un manoir voisin d’ici, au manoir de Kergollen, chez une certaine dame Brigitte. Elle vit seule, isol'ee, elle est vieille, elle est riche. Je sais qu’elle a de l’or.
— Jean-Marie, dit Fant^omas, il ne faut pas commettre ce crime, je ne le veux pas.
— Bien, fit-il, je le commettrai donc tout seul.
— Non, ordonna Fant^omas, tu ne toucheras pas `a un seul cheveu de la t^ete de cette femme, tu ne lui prendras pas un centime.
— J’agirai comme il me plaira.
— Jean-Marie, il ne faut pas songer un seul instant `a enfreindre ma col`ere, sans quoi tu pourrais t’en repentir.
— Je ne me repens jamais et je n’ai peur de rien.
Jean-Marie 'etait brutal et ent^et'e, mais Fant^omas 'etait habile.
Dominant ses sentiments de col`ere, le g'enie du crime se fit soudain aimable et s'eduisant. Il tendit la main `a l’'equarrisseur :
— Jean-Marie, tu me plais, car tu es brave, j’ai voulu t’'eprouver. Oui j’accepte de m’associer avec toi pour l’affaire dont tu parles et je sais que tu ne la commettras pas sans moi, car nous n’avons l’un et l’autre qu’une parole. Si j’ai voulu t’emp^echer d’agir, c’est pour te prot'eger. Crois-moi, le coup ne peut pas r'eussir en ce moment, mais il sera bon dans trois jours.
— Dans trois jours ?
— Oui. J’ai des raisons que je t’expliquerai.
Fant^omas finit par convaincre Jean-Marie. D’accord, ils allaient se s'eparer, ils se retrouveraient dans trois jours, dix heures et quart pr'ecises du soir, `a l’entr'ee des offices du manoir de Kergollen. Jean-Marie guiderait le g'enie du crime `a travers les couloirs du vieux manoir, et Fant^omas agirait, tuerait la vieille dame, pendant que Jean-Marie s’emparerait des tr'esors.
Ils allaient se s'eparer. Jean-Marie rappela Fant^omas :
— 'Ecoutez, j’ai quelque chose `a vous dire. Une amabilit'e en vaut une autre.
— Parle.
— Tout ce qui concerne le naufrage du Skobeleff vous int'eresse je suppose.
— Exact.
— Eh bien, fit Jean-Marie, j’ai vu…
Le bandit raconta la sc`ene dont il avait 'et'e t'emoin `a la fin de la nuit pr'ec'edente. Il avait vu un officier aller se dissimuler dans une masure, apr`es avoir troqu'e son uniforme contre des v^etements de femme :
— Cet homme habill'e en femme est all'e ensuite `a deux kilom`etres d’ici et a d'ecouvert dans la falaise une anfractuosit'e dans laquelle avec mille pr'ecautions, il a enferm'e quelque chose, d’'evidemment pr'ecieux.
— Alors ?
— Alors, fit Jean-Marie, voil`a tout. C’est int'eressant ?
— Non. Toutefois une chose m’int'eresse cependant, cet homme d'eguis'e en femme, cette femme qu’est-elle devenue ?
Jean-Marie n’en savait rien. Fant^omas le lui apprit :
— Cette femme, car c’est une femme, en effet, a eu d’imp'erieuses raisons pour se dissimuler, pour fuir. Il faut absolument la retrouver et rien ne nous sera plus facile, car tu connais son signalement, et je vais te mettre sur sa piste.
— Pourquoi faire ?
— Pour la prot'eger. Je veux que ce soit toi seul qui le fasses, tu seras largement pay'e.
Il promit de l’or `a l’'equarrisseur.
Lorsqu’ils furent d’accord, Fant^omas expliqua :
— Tu vas partir, Jean-Marie, partir tout de suite, tu iras sur la route `a Morlaix, `a Saint-Brieuc, `a Dinan, plus loin encore si c’est n'ecessaire, jusqu’`a ce que tu aies retrouv'e une roulotte brune, tra^in'ee par un cheval gris pommel'e. Dans cette roulotte habitent deux boh'emiens, que l’on conna^it sous le nom du p`ere et de la m`ere Zizi. Ils 'etaient hier encore dans les faubourgs de Brest. Tu rejoins cette roulotte, la femme que nous cherchons et qu’il faut prot'eger y est mont'ee, et tu la suis.
— Et qu’est-ce que je fais, apr`es ?
— Tu la suis, tu ne la quittes pas d’une semelle et, quoi qu’il arrive, tu la prot`eges contre tous ceux qui lui voudraient du mal, qu’il s’agisse des copains de notre bande ou de la police.
— Combien de temps, ca ?
— Dans trois jours, Jean-Marie, je t’aurai rattrap'e. Est-ce entendu ?
Jean-Marie n’avait qu’une parole.
Certes, il ne comprenait pas tr`es bien le but que se proposait Fant^omas, mais si grande 'etait la fascination qu’exercait sur tous ceux qui l’approchaient, le bandit, que l’indomptable Jean-Marie lui-m^eme finissait par trouver naturel de lui ob'eir. Il irait donc, il agirait comme l’avait ordonn'e le bandit et cela arrangeait l’'equarrisseur somme toute, de s’'eloigner momentan'ement, sans regagner imm'ediatement Paris toutefois, o`u la police devait s’inqui'eter du retour des apaches.
Jean-Marie s’'eloigna dans la nuit, heureux d’entendre tinter l’or au fond de sa poche.
Et il combinait d'ej`a sa nouvelle existence.
Tout d’abord, il allait passer au manoir, pr'etexter aupr`es de dame Brigitte d’une indisposition qui l’obligeait `a entrer `a l’h^opital. Il partirait ensuite sur les traces de la myst'erieuse roulotte, mais `a part soi, Jean-Marie se promettait, co^ute que co^ute, de revenir au manoir dans trois jours, d’^etre fid`ele au rendez-vous.
Une fois seul, Fant^omas s’assit `a l’ombre d’un rocher et r'efl'echit, humili'e d’avoir 'et'e oblig'e de pactiser avec cet obscur bandit, avec cette brute inhumaine sur laquelle aucune influence n’agissait, qui ne redoutait rien, pas m^eme la mort, et qu’on ne pouvait s'eduire qu’en lui promettant de faire couler des flots de sang.