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— Amiral, d'eclarait l’officier, j’attire votre attention sur ces faits : au moment o`u je m’appr^etais `a quitter la rade pour aller explorer les fonds avoisinant le navire le Triumph, naufrag'e au cours de la derni`ere temp^ete, une inconnue, une femme, dont je vous ai d'ej`a signal'e la pr'esence, demanda `a monter `a mon bord et je ne pus m’y opposer, car elle 'etait porteuse d’une d'ep^eche officielle 'emanant du minist`ere et l’autorisant en effet `a embarquer. Cette femme, mon amiral, s’est tu'ee au moment o`u la torpille foncait sur nous. Cette torpille, mon amiral, sauf erreur de ma part, je suis certain qu’elle provenait des pontons de renflouement. C’est de l`a qu’elle a 'et'e dirig'ee sur mon bateau. Ce n’'etait pas, en effet, une torpille perdue, flottant au hasard, mais bien une torpille en action, dont le m'ecanisme fonctionnait, qui avait 'et'e point'ee sur nous. Amiral, cette femme qui s’est frapp'ee `a mon bord, cette femme dont je ne sais point le nom, je l’ai fait transporter, je vous l’ai dit, `a bord de la barque qui nous accosta apr`es notre remont'ee, et qui semblait vouloir nous donner la remorque. Mon amiral, je soupconne que cette barque 'etait men'ee par un homme venant des pontons de renflouement. Or, cet homme a volontairement coup'e la remorque qui attachait son bachot `a mon sous-marin. Cet homme nous a volontairement laiss'e partir `a la d'erive. Cet homme, amiral, ne peut ^etre que l’assassin qui avait point'e la torpille sur nous.
— Que concluez-vous donc, lieutenant ?
— Ceci, mon amiral. Je me demande si la femme que nous avions `a bord n’avait pas accept'e la mission p'erilleuse de guider mon sous-marin, si cela avait 'et'e n'ecessaire, vers les pontons de renflouement d’o`u on devait le torpiller. Elle avait sans doute fait bon march'e de sa vie. Elle acceptait de mourir avec mon 'equipage et moi. Mon amiral, c’est une co"incidence extraordinaire, un hasard miraculeux, plus encore que ma manoeuvre, qui a sauv'e L’OEuf. L’homme qui devait le torpiller, le voyant revenir `a la surface, a d^u, tr`es 'etonn'e de sa r'eapparition, vouloir joindre mon bord pour s’assurer de ce qu’'etait devenue sa complice. Comme `a ce moment je lui ai fait remettre cette complice. C’est alors, amiral, que l’ayant emport'ee, il s’est enfui en nous exposant `a nouveau `a un second naufrage.
— Lieutenant de Kervalac, ce que vous dites est 'epouvantable. Vous ne croyez pas `a un accident ? Vous parlez de crime. C’est effroyable ce que vous inventez l`a. Avez-vous bien r'efl'echi, bien pes'e la gravit'e de vos affirmations ? Avez-vous quelqu’un `a accuser ? Savez-vous quel est cet homme ? qui il pourrait ^etre ?
— Amiral, sur mon honneur et sur ma conscience, je ne parle pas au hasard, ce n’est pas au hasard que je porte une si grave accusation, ce n’est pas au hasard que je vais citer un nom. J’accuse quelqu’un, amiral, j’ai l’honneur d’accuser devant vous, de facon formelle, le journaliste J'er^ome Fandor.
Et petit `a petit, s’emportant, s’animant `a d'evelopper ses arguments, `a ajouter les preuves aux preuves, le lieutenant de Kervalac exposa `a son chef les raisons qui l’avaient conduit `a soupconner J'er^ome Fandor :
— Pourquoi ce journaliste porte-t-il un int'er^et si pressant aux choses de la marine ? Pourquoi, depuis huit jours qu’il est `a Cherbourg, le rencontre-t-on continuellement avec des officiers ? Pourquoi, s’il n’a pas un but myst'erieux, se renseigne-t-il perp'etuellement sur les op'erations de renflouement tent'ees sur le Triumph, op'erations, qui, je vous l’ai dit, mon amiral, sont extraordinairement suspectes, d’apr`es ce qu’il r'esulte de mes explorations sous-marines. Amiral, le journaliste Fandor, `a vingt reprises diff'erentes, a questionn'e mes matelots, les a fait parler, les a interrog'es sur mon bateau, je l’ai appris par une enqu^ete rapide. Amiral, le journaliste J'er^ome Fandor savait, par qui ? comment ? pourquoi ? je l’ignore, mais il le savait, que mon navire allait ^etre charg'e d’explorer l’'epave du Triumph. Amiral, le journaliste J'er^ome Fandor a obtenu du minist`ere, par je ne sais quelle influence occulte, une permission d’embarquement, qui n’est cependant d'elivr'ee que tr`es difficilement. Amiral, j’ai r'eserv'e enfin la plus terrible preuve pour la fin de mon argumentation : non seulement il est facile d’'etablir que le journaliste J'er^ome Fandor connaissait la jeune femme qu’il fit embarquer `a sa place `a bord du sous-marin, mais encore, au moment m^eme o`u l’on transportait cette mis'erable pour la faire s’installer `a bord de la barque qui avait l’air de venir nous sauver, je l’ai entendue murmurer tr`es distinctement : « Au secours Fandor, au secours, `a moi, je meurs ! »
Une heure plus tard, l’amiral s’entretenait de nouveau avec le lieutenant de Kervalac, Minutieusement, le chef de l’escadre avait interrog'e les hommes de l’'equipage de L’OEuf, convoqu'es d’urgence `a bord du vaisseau-amiral. Minutieusement, il avait examin'e, avec le jeune commandant, les charges pesant contre Fandor, et maintenant la conviction de l’amiral Achard 'etait faite. Tr`es p^ale, les yeux jetant des 'eclairs, l’amiral Achard d'eclara :
— Vous avez raison, lieutenant, J'er^ome Fandor, qui doit ^etre un tra^itre `a la solde de quelque puissance 'etrang`ere, a bien voulu la perte de L’OEuf, c’est bien J'er^ome Fandor qui pilotait la barque `a bord de laquelle la jeune fille s’est enfuie. Nous allons porter plainte contre J'er^ome Fandor, il faut, co^ute que co^ute, que ce mis'erable soit pris.
Au moment de sortir de son salon, l’amiral Achard posa sa main sur l’'epaule du lieutenant de Kervalac :
— Lieutenant, vous avez eu tort d’accepter d’embarquer quelqu’un sur un ordre du minist`ere sans m’en r'ef'erer. Vous avez eu tort surtout d’embarquer une femme alors que le permis de rester `a bord de L’OEuf'etait libell'e au nom d’un homme. Commandant, vous m'eritez d’^etre puni, je vous inflige trente jours d’arr^et.
L’amiral Achard se tut une seconde, puis brusquement, avec des larmes dans les yeux, il ouvrit ses bras au jeune officier, il serra sur son coeur le vaillant commandant de L’OEuf :
— Ah, mon enfant, mon enfant, murmurait le sup'erieur, vous avez 'et'e d’une vaillance que rien n’'egale, votre pr'esence d’esprit a sauv'e votre navire et vos hommes, votre sang-froid vient de nous faire d'ecouvrir une 'epouvantable trahison. Ce soir-m^eme, j’'ecrirai `a notre ministre. Il y a en France une petite chose qui n’est rien et qui r'ecompense cependant les hommes qui vous ressemblent. Mon enfant, c’est la croix des braves, je la demanderai pour vous, on ne pourra me la refuser.
***
Tandis que le lieutenant de Kervalac portait contre lui, aupr`es de l’amiral Achard, les plus terribles accusations, Fandor errait dans Cherbourg, en proie au d'esespoir.
Le jeune homme, certes, n’avait pu avoir la moindre id'ee tout d’abord des effroyables dangers courus par L’OEufau cours de son voyage de plong'ee. Il avait 'et'e pris d’une inqui'etude grandissante au fur et `a mesure que, les heures s’'ecoulant, le sous-marin n’avait pas regagn'e son port d’attache, le point des quais o`u il s’amarrait d’ordinaire. Fandor avait pass'e une nuit terrifiante `a attendre le retour du submersible.