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Le facteur 'etait pr^et `a partir, Fandor le rappela :
— Une minute, mon brave, prenez donc ce petit pourboire.
Le journaliste tendit cinquante centimes au brave homme, mais la pi`ece lui glissa des doigts, roula sur le plancher, jusqu’aupr`es de la fen^etre, tout `a l’oppos'e de la porte. Le facteur se pr'ecipita.
Comme l’excellent employ'e cherchait `a retrouver cette petite gratification, Fandor, d'ecid'ement en gaiet'e, tout `a coup, changea d’id'ee :
— Apr`es tout, fit-il, il est bon que je fasse conna^itre `a mes poursuivants mon intention de ne plus demeurer ici.
Il prit son chapeau et jeta sur la table une pi`ece de vingt francs, en criant au facteur :
— Vous paierez ma note et garderez la diff'erence, je n’en ai pas pour quatorze francs.
Puis, prestement, il disparut, enfermant l’homme des P.T.T. `a double tour. Lorsqu’il passa devant la loge, il lanca `a la logeuse cet 'etrange adieu :
— Je vous souhaite bien le bonsoir, madame, mais je vous conseille de monter d'elivrer un prisonnier, si vous ne voulez pas avoir d’histoires avec l’administration.
Parvenu dans une rue d'eserte, Fandor tira enfin de sa poche la lettre recommand'ee qu’il avait recue. L’adresse 'etait r'edig'ee d’une 'ecriture de femme dont la seule vue fit tressaillir le journaliste : l’enveloppe portait le cachet de Saint-Martin (Manche).
La lettre disait :
Mon cher Fandor,
C’est une mourante qui vous adresse son supr^eme adieu. Vous savez que j’ai voulu en finir avec la vie, je n’ai pas compl`etement r'eussi, mais le Ciel va exaucer mes voeux. On m’a transport'ee dans ce ch^ateau, non loin de vous, je mourrais contente, si je pouvais une fois encore vous voir, vous dire combien je vous aimais, oui, aimais.
H'el`ene.
18 – CONCERT AU VILLAGE
Saint-Martin compte trois cents habitants.
La m`ere et le p`ere Pi'e habitaient `a la sortie du village, une maisonnette si modeste, si petite, qu’elle n’attirait point le regard. On l’e^ut volontiers ignor'ee derri`ere les grands arbres qui la s'eparaient du chemin, si perp'etuellement, elle ne s’'etait emplie de criaillements, de bruits de disputes, de jurons, de courses pr'ecipit'ees. Deux vieillards qui habitaient l`a, qui s’aimaient tendrement et se le prouvaient en se disputant du matin au soir.
Des paysans, des paysans de vieille souche, attach'es `a leur sol, amoureux de leurs terres, avares de leurs biens, voil`a ce qu’'etaient les Pi'e, dont le mari, jadis, avait 'et'e charron, dont la femme avait 'et'e merci`ere et qui maintenant, retir'es des affaires, 'etaient persuad'es avoir fait fortune parce qu’ils pouvaient sans trop de mal joindre les deux bouts, alors m^eme que les bl'es 'etaient mauvais ou que l’avoine n’avait pas donn'e.
Le p`ere Pi'e immobilis'e sur le seuil, criait :
— T’as toujours peur de tout, la m`ere. T’as peur, et l’on ne peut pas tant savoir seulement pourquoi ? Des id'ees que tu te fais.
La m`ere Pi'e s’approcha de son homme, les deux poings sur les hanches, d'ej`a pr^ete `a 'eclater en col`ere :
— Des id'ees que je m’fais ? r'ep'eta-t-elle, narquoise, des id'ees qu’tout le monde s’fait alors, car il n’y a plus personne `a Saint-Martin qui ne pense comme moi. Je te dis que c’est un myst`ere ce qui se passe au ch^ateau, et un myst`ere grave et qu’il n’en sortira rien de bon. Ah c’est des id'ees que j’me fais ? On a pas livr'e peut-^etre des caisses grandes comme des maisons ?
— Si. Mais…
— Et il n’est pas venu dans le pays, accompagnant ces caisses-l`a, des individus `a dr^ole de mine ?
— Si encore, mais…
— Et le fils `a la Jean-Pierre n’a pas vu un animal extraordinaire qui miaulait et sautait entre les peupliers ?
— Ben s^ur que oui, la m`ere, mais…
— Tiens, tais-toi mon homme, va-t’en sarcler ton jardin, tu me ferais sortir de mon caract`ere. Ah, c’est des id'ees que je me fais ? eh bien, raisonne un peu puisque t’es si fort, dis-moi pourquoi que, quand on passe le long des murs du ch^ateau, on entend des cris, des grognements et des beuglements, on dirait cent veaux ensemble. Et encore, des veaux ne crieraient jamais comme ca. Des id'ees ? mais tu ne sais pas que la petite du cur'e, la servante, la Sans-Nom, l’aut’ jour, elle s’est hiss'ee sur le mur, histoire de voir ce qu’on faisait `a l’int'erieur, et ce qu’elle a vu lui a caus'e si grande frayeur qu’elle a couru `a confesse tout de suite, et que, depuis, elle ne veut plus qu’on lui parle du ch^ateau, `a preuve qu’elle se signe tout le temps. C’est p’t-^etre bien ordinaire ? Tu trouves que c’est naturel ? Quand dans une propri'et'e o`u il n’y a, comme qui dirait pas de ma^itres, on entend des bruits extraordinaires ? Et le facteur ? C’est naturel aussi qu’il ait sur l’'epaule une blessure qu’il ne sait pas seulement comment ca lui est arriv'e ? Non, tais-toi le p`ere, ne me r'eponds pas, va-t’en sarcler, ca vaudrait mieux, c’est pas possible d’^etre vieux comme toi et d’^etre si b^ete. Va-t’en et ne t’avise pas d’aller r^oder du c^ot'e du ch^ateau.
La m`ere Pi'e, pivota sur elle-m^eme, partit arm'ee d’un balai, faire un simulacre de nettoyage ; le p`ere Pi'e, descendit au jardin.
Le bonhomme, tout en sarclant ses petits pois, r'efl'echissait cependant aux paroles de sa femme. C’'etait surtout par esprit de contradiction qu’il n’avait point voulu convenir qu’il se passait, en effet, tr`es r'eellement d’'etranges choses au ch^ateau de Saint-Martin.
En r'ealit'e, le p`ere Pi'e, tout comme sa femme, tout comme les habitants du village, 'etait fort 'etonn'e, fort surpris par les ph'enom`enes qui, depuis une semaine `a peu pr`es, semblaient se succ'eder dans la vaste et d'eserte propri'et'e.