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D'ej`a noire, la nuit devenait plus noire encore… H'el`ene, nageant `a grandes brasses, cessa vite d’apercevoir jusqu’`a la silhouette du b^atiment lugubre qui avait 'et'e un instant pour elle la plus terrible des prisons. Elle cessa d’apercevoir la p'eniche et pour tout dire, ne vit plus rien… Elle nageait `a l’aventure droit devant elle, esp'erant rencontrer une 'epave o`u s’accrocher, esp'erant aller vers la berge, esp'erant se sauver, et se disant dans le secret de son ^ame que si le sort devait lui ^etre contraire elle aimait mieux s’engloutir `a jamais dans les flots noirs du port qu’^etre rest'ee la prisonni`ere de Fant^omas.
Il y avait bien une bonne demi-heure qu’H'el`ene nageait ainsi `a l’aventure, et d'ej`a il apparaissait `a la pauvre femme qu’elle 'etait perdue, perdue sans espoir…
Le froid la gagnait d’abord, et paralysait ses mouvements… elle ne savait plus ensuite o`u elle 'etait… il lui 'etait impossible de s’orienter et de d'ecider dans quel sens pouvait se trouver la berge. Enfin, et cela surtout 'etait effroyable, H'el`ene avait le sentiment tr`es net qu’en nageant `a l’aventure, elle s’'etait engag'ee dans un courant rapide, un courant qui l’emportait malgr'e elle, qui la roulait dans ses flots, qui augmentait de minute en minute d’intensit'e, et qui, sans doute, l’entra^inait vers la haute mer.
Merveilleuse de sang-froid, ne se faisant aucune illusion sur ce qui se produisait, H'el`ene devinait la tr`es triste v'erit'e.
— Mon Dieu, pensa-t-elle… Je suis prise par la mar'ee… le flot baisse, je vais ^etre entra^in'ee hors du port, je me noierai infailliblement…
Elle voulut, pour se reposer, faire la planche quelques instants et s’abandonner au courant. Mais des crampes la terrassaient. Alors, elle d'ecida de lutter. Lutte-t-on, h'elas ! contre le flot ?
H'el`ene eut beau faire appel `a toute son intr'epidit'e et `a toute son habilet'e de nageuse avertie, elle se rendit compte qu’il lui 'etait impossible de remonter le courant, et que ses efforts n’auraient d’autre conclusion que de h^ater sa perte en l’'epuisant plus vite.
— Perdue, je suis perdue… se dit-elle.
Elle nagea encore quelques instants. Tout un monde de visions se d'eroulait dans son cerveau o`u la fi`evre mettait une hantise. Elle se vit enfant, au Natal, nageant dans des torrents, dans des plaines d'esertes. Brusquement, elle imagina la sc`ene tragique au cours de laquelle, incarnant encore le personnage de Teddy, elle avait fait la connaissance de Fandor, de celui qu’elle consid'erait comme son mari.
Puis H'el`ene se vit reine. La veille encore, elle ceignait le diad`eme. Le matin m^eme, la reine de Hollande la remerciait de lui conserver son tr^one… Puis Fant^omas, D'emon du mal, survenait, et tout se brouillait… et tout s’an'eantissait…
Fandor ne pouvait plus rien pour elle, et elle ne verrait plus jamais Fandor…
H'el`ene eut la sensation aigu"e qu’elle n’'etait plus d'esormais qu’une pauvre chose, une 'epave vivante que la temp^ete entra^inait, et qu’elle s’en allait vers le large, au gr'e des flots, dans la nuit noire…
La jeune femme alors ralentit ses brass'ees…
Le terrible drame dont elle 'etait l’h'ero"ine parvenait fatalement `a sa sinistre conclusion. Dans la lutte t'em'eraire qu’elle avait entreprise, elle 'etait vaincue et H'el`ene, `a l’instant m^eme o`u elle allait mourir, ne pouvait s’emp^echer de r'ep'eter, haletante :
— Fant^omas est le Ma^itre de tous… Fant^omas est le Ma^itre de tout…
La fi`evre, `a cet instant, lui donna le d'elire, elle songea encore :
— Quel beau linceul me fera la mer frang'ee d’'ecume !…
Puis, elle ne songea plus… l’'evanouissement supr^eme mit fin `a sa torture… elle cessa de nager… sa jolie t^ete chercha l’appui trompeur des flots moelleux… la mer s’ouvrit, la recut en son sein, l’engloutit, se ferma sur elle, tranquille, calme, voilant le meurtre qu’elle venait d’accomplir sous les vaguelettes joueuses du courant.
— Donne-lui encore du rhum…
— By Jove, tu vas la mettre dans les vignes.
— T’inqui`ete pas, ma vieille… elle en reviendra…
— Place, place… voil`a des briques chaudes…
— Vente dur, ce matin… Et alors, qu’est-ce qu’elle dit ?
— Rien, capitaine… rien encore…
Cela sentait la mer dans ce logis 'etroit aux formes arrondies, dans cette cabine qui comportait tout juste un petit lit, un cadre, une table `a roulis et quelques ustensiles de toilette.
Cela sentait la mer et, de fait, si quelque curieux avait gliss'e un regard `a travers un 'etroit hublot, il n’e^ut apercu, au plus lointain de l’horizon, que les flots glauques, frang'es d’'ecume, se creusant en d’'enormes vagues, se bousculant en col`eres soudaines, s’enflant en montagnes et d'eferlant en avalanche…