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Une cabine !… 'Etait-ce donc `a bord d’un bateau que se trouvaient ces hommes au rude visage, aux gestes brusques, qui s’entassaient dans l’'etroit logement, se bousculant les uns les autres, apportant chacun un objet, qui des briques chaudes, qui un grand bol rempli de rhum ?
Le doute, `a la v'erit'e, n’'etait pas permis. Les oscillations du plancher, les craquements qui se faisaient entendre, le heurt sourd des lames battant les flancs du vaisseau, et par-dessus tout les hurlements de la brise… l’odeur ^acre et saline qui r'egnait en ces lieux e^ut suffi `a en donner la certitude.
Mais que se passait-il dans cette chambre ? Pourquoi ces hommes frustres et brutaux se h^ataient-ils ainsi vers le lit ?
Sur le cadre 'etroit 'etait 'etendue une femme. Elle paraissait inanim'ee, morte peut-^etre… Ses cheveux d'enou'es s’enroulaient autour de son front, emm^el'es d’algues, parsem'es de coquillages. Ses v^etements tremp'es collaient `a ses membres. Son visage bl^eme 'etait immobile.
Qu’'etait-elle ? D’o`u venait-elle ?
Quel terrible accident l’avait r'eduite au triste 'etat o`u elle se trouvait ?
— Donnez-lui du rhum, sang Dieu ! reprenait une voix. Avec le rhum, on remet toujours les gens sur patte. C’est la meilleure m'edecine…
Dans le grand bol une large rasade fut vers'ee. Un homme, un colosse, qui, pieds nus, portait pour tout v^etement une courte culotte de toile et une sorte de chandail ouvert au cou, laissant apercevoir une robuste poitrine, s’approchait pr'ecautionneusement de la malade.
— Une… deux… trois… sautez muscade, annoncait-il. Je parie qu’`a ce coup-ci la belle enfant se d'ecide `a nous dire bonjour ou bonsoir…
Cet homme, qui semblait d’une force hercul'eenne, avait en r'ealit'e des gestes assez doux. Il trouvait moyen, avec le manche d’une cuiller de plomb, de desserrer les dents de la malade inanim'ee et alors, avec de douces pr'ecautions, il versait de petites gorg'ees de liquide, la forcant en quelque sorte `a boire.
Il n’insistait pas longtemps, d’ailleurs. Le rhum dont il se servait 'etait effroyablement fort, et son effet ne se faisait pas longtemps attendre.
La malade, tout `a l’heure inanim'ee, ouvrit les yeux. D’abord, elle consid'era avec une stupeur profonde les visages qui se penchaient sur elle. Puis, il sembla qu’une 'epouvante passa sur son visage. Ses mains se crisp`erent, elle voulut parler, un son indistinct sortit seul de sa gorge crisp'ee.
Autour d’elle, cependant, ceux qui la soignaient se r'epandaient en exclamations de joie.
— Boum, ca y est… disait un grand gaillard qui venait d’apporter des briques chaudes, et de les appuyer contre les pieds de la rescap'ee. Y a pas `a dire, elle revient…
— Elle revient si bien, affirma l’homme qui tenait le bol de rhum, que la voil`a hors de danger. Encore une rasade, et, ma parole, ni vu ni connu !
Il forcait en effet la malade `a boire encore, mais celle-ci, bient^ot, repoussait le bol. Le rhum semblait lui causer une fi`evre intense. Elle retrouvait des forces factices ; d’une voix sourde, elle interrogea :
— O`u suis-je ? Que me voulez-vous ?
Dix voix la renseign`erent en m^eme temps :
— Ah ! par exemple… ripostait l’homme au bol, elle est fameuse… Eh bien ! madame ma ch`ere, sauf vot’respect, vous ^etes sur La Cordill`ere, un fin voilier, ma parole, et qui file en ce moment vent arri`ere une jolie couple de noeuds. Ce qui vous est arriv'e, dame, ce serait plut^ot `a vous de nous le dire… quoique… enfin… suffit… je m’entends !…
Un 'eclat de rire couvrait ses paroles. L’assistance pr^etait 'evidemment un sens myst'erieux `a cette r'eponse peu claire.
La malade, pourtant, s’informait encore :
— Je suis `a bord d’un bateau… comme cela se fait-il ?
Mais cette fois-ci, les hommes d’'equipage riaient encore plus fort.
— Ma belle poulette, reprenait l’homme au rhum, s^urement vous n’avez pas encore la t^ete bien `a vous… Voyons, un petit effort de m'emoire. Vous ne vous rappelez pas que vous 'etiez dans la tasse, et en train de boire Un fameux coup, lorsque, tout bonnement, la gaffe au veilleur de beaupr'e vous a proprement croch'ee et tir'ee du bouillon ?
Ce n’'etait peut-^etre pas tr`es clair, mais la jeune femme cependant semblait d'esormais comprendre les explications qu’on lui donnait.
— C’est vrai, murmurait-elle faiblement… Je m’'etais 'evanouie, je me noyais… Mais c’est vous qui m’avez sauv'ee, alors ?
— Dame ! probable !
La rescap'ee, `a ce moment, faisait effort pour se soulever faiblement. On l’aidait `a s’asseoir sur son lit, puis elle reprenait :
— Oh ! si vous saviez `a quel danger j’'echappe… si vous saviez qui je suis…