Шрифт:
D’un signe de main protecteur, Bouzille saluait le fonctionnaire qui gardait la porte d’entr'ee.
Il avait l’air si s^ur de lui, que personne ne l’inqui'etait. Bouzille regagnait donc la rue le plus ais'ement du monde. Cela d’ailleurs l’enchantait.
— Il y a qu’moi, remarquait-il, les ministres et les p’tits oiseaux pour oser s’balader comme ca, sans seulement fout’deux sous de pourboire au directeur de la compagnie !
Une fois dans la rue, cependant, Bouzille, qui avait des sentiments chauvins au fond de son ^ame, humait l’air de la capitale avec une v'eritable satisfaction.
— Vrai, l’crottin d’ici, estimait Bouzille, y sent rudement bon !… L’pav'e, ca fait plaisir pour r^aper ses godasses. Seulement, j’boirais bien un coup !
Bouzille avait r'efl'echi et longuement cherch'e dans quel cabaret on pourrait lui faire cr'edit d’un litre `a seize, ce qui repr'esentait `a ce moment le summum de ses ambitions.
Bouzille avait quelque peine `a le trouver, car, en r'ealit'e, il devait de l’argent un peu partout, et n’inspirait confiance nulle part.
— `A Montmartre, disait-il, chez l’bossu, je dois un camembert… Aux Halles, j’ai six francs de cervelas sur le dos… `A M'enilmuche, on m’a fichu `a la porte partout, rapport `a ce que j’trichais au jeu, une blague, d’ailleurs !
Bouzille se rappela qu’`a Montrouge, en un cabaret fort bien achaland'e, on l’avait encore condamn'e `a crever de p'epie, rapport `a ce qu’il avait lich'e en une seule soir'ee, tout le litre d’un ouvrier qui jouait paisiblement aux dames sans s’apercevoir que Bouzille fouillait tranquillement dans son panier et escamotait le restant de ses provisions.
— C’est terrible ! gronda Bouzille… C’est rudement terrible… de n’pas avoir de cr'edit !
Mais soudain il se frappait le front : rue de la Huchette, il connaissait une sorte de caveau o`u habitait l’un de ses copains. Quand Bouzille avait 'et'e m^el'e aux terribles affaires du fiacre de nuit, ce copain et lui avaient voulu trafiquer dans le commerce des vins . Bouzille avait naturellement bu son fond, mais le copain avait continu'e le commerce. C’'etait un brave homme, Bouzille estima :
— Je pleurerai pendant une heure, mais tout de m^eme, j’aurai mon litre. Allons-y…
Il y avait loin de la gare du Nord `a la rue de la Huchette, mais Bouzille n’'etait pas press'e. Il 'etait si peu press'e qu’il trouvait moyen d’allonger le chemin et de passer par le pont de l’H^otel-de-Ville.
Or, Bouzille 'etait arriv'e sur ce pont, pr'ecis'ement `a l’instant o`u Fant^omas jetait le cadavre de Daniel par-dessus les murs de la morgue…
— S^urement, se disait quelques instants apr`es le chemineau, s^urement ils sont en train de trafiquer quelque chose de louche…
Et tirant la langue d’'emotion, ouvrant des yeux ronds, reniflant avec une force qui prouvait la tension de son esprit, Bouzille surveillait sous les piles du pont une petite barque noire qui 'etait dissimul'ee l`a, et sur laquelle semblaient avoir pris place quatre ou cinq individus.
— C’est rudement rigolo, songeait Bouzille. J’peux pourtant pas croire qu’ils sont occup'es `a faire de la politique… Ca ne serait-y pas l’heure ni l’moment, et puis d’abord, y n’gueulent pas… la politique, ca fait plus d’bruit !
Cette remarque faite, Bouzille passait `a une autre supposition :
— Y n’p^echent pas non plus la baleine, d'ecidait-il, car la Seine est trop haute, le poisson ne pourrait pas passer sous les arches… Quant `a ce qui est d’chercher des perles, faut pas y songer… les hu^itres, y n’y en a que dans les caboulots `a Paris !
Bouzille allait du complexe au simple, bient^ot il imagina :
— S^urement, ca doit ^etre un truc `a la manque… un bain froid, p’t’^etre bien, que l’on offre `a un cossu ?…
Pr'ecis'ement, `a cet instant, le vent, qui 'etait propice, apportait `a Bouzille un coup de sifflet prolong'e.
Bouzille, `a cet instant, n’en menait pas large…
— Oh ! oh ! se dit-il, ca, c’est les flics…
Mais il changea d’avis en voyant les individus de la barque au lieu de s’enfuir, prendre les avirons et se tenir pr^ets `a avancer.
— C’est qu’ils ne foutent pas le camp, reconnut Bouzille. Ils ne foutent pas le camp du tout. C’est donc pas les flics, alors ?