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Fant^omas, avec la belle tranquillit'e qui 'etait la sienne, alors cependant que d’une minute `a l’autre le hasard d’une rencontre avec un des t'emoins de l’attentat pouvait amener les pires catastrophes, finit de donner des explications :
— Vous allez vous partager les mandats et vous occuper de l’autobus. D’ailleurs, je m’en vais vous conduire les uns et les autres, dans les quartiers les plus divers de Paris. `A chaque arr^et, l’un de vous descendra.
Fant^omas 'etait revenu sur le si`ege et avait pris le volant, et tandis que la police s’occupait `a faire fermer les portes de Paris, `a surveiller les boulevards ext'erieurs, la voiture des criminels continuait `a circuler en plein centre de la ville, avec une audace folle. Sur le si`ege, Fant^omas semblait triomphant :
— Qui donc croirait, en apercevant notre voiture, que nous ne sommes pas d’honn^etes m'ecaniciens ? murmurait-il. Qui donc oserait supposer qu’une heure apr`es l’attentat, nous nous promenons en plein Paris sans m^eme avoir chang'e d’autobus ? 'Evidemment, c’est en se cachant le moins qu’on se cache le mieux.
Et, fort de cet axiome, dont il avait maintes fois 'eprouv'e la profonde v'erit'e, Fant^omas pilota son v'ehicule de telle facon que, de la gare du Nord, il arrivait `a la Madeleine o`u Mort-Subite et le Bedeau descendaient. Continuant son chemin, la voiture tournait devant les Invalides, o`u deux autres apaches la quittaient.
Vers six heures du soir, Fant^omas arrivait derri`ere le jardin du Luxembourg, et du ton le plus ordinaire, il annoncait :
— J’ai grand faim, je vais rentrer.
Sur le si`ege, `a ce moment, un seul homme 'etait `a c^ot'e de lui, qui n’'etait autre que Bouzille. L’in'enarrable chemineau riait de plus en plus, et paraissait de moins en moins comprendre la gravit'e des 'ev'enements auxquels il venait d’^etre m^el'e. Bouzille n’'etait point sot, mais il avait une candeur v'eritable qui e^ut d'esarm'e le plus rus'e des juges d’instruction.
— Moi, je n’ai rien fait, pensait Bouzille, pourquoi donc que je me priverais d’une balade en autobus juste un jour comme aujourd’hui o`u je ne paie pas ma place ?
Bouzille, d’ailleurs, s’il e^ut dit cela, n’e^ut pas exprim'e toute sa pens'ee.
Le chemineau, au fond de son ^ame, se doutait bien que Fant^omas allait ^etre oblig'e de se d'ebarrasser de l’autobus.
— Ma foi, songeait Bouzille, il n’y a pas de sot m'etier, il y a toujours ici des petits trucs `a glaner : le crin des coussins, le cuir du tablier, la trompe, les lanternes, je ne perdrai pas ma journ'ee si je peux rafler tout cela.
Et, avec l’inconscience qui le caract'erisait, il suivait Fant^omas. Cette randonn'ee tragique, lui vaudrait bien une vingtaine de francs de b'en'efice.
Cependant, un vent de folie semblait souffler sur la capitale.
— Je crois que cette fois les Pouvoirs publics comprendront, se disait Fant^omas. Bah ! dans huit jours peut-^etre, je ferai mieux.
— Nous sommes seuls, Bouzille, dit Fant^omas. Veux-tu descendre ?
— Non, o`u vous irez, j’irai.
— Alors, reste.
Cette fois, un sourire avait 'egay'e la dure physionomie du Roi du Crime. Que m'editait-il ?
Du Luxembourg, l’autobus fatal avait rejoint le boulevard de Port-Royal. Il longeait l’avenue des Gobelins, puis, descendait par le boulevard de la Gare. Il 'evoluait encore quelque temps le long de la Seine, puis, un brusque crochet l’amenait `a la rue Cantagrel.
— Nous voici chez nous, Bouzille.
— Chez nous, patron ?
— Je vais garer l’autobus chez ce marchand de charbon.
Fant^omas d'esignait vers le bout de la rue, un grand terrain vague entour'e de hauts murs, d’ailleurs perc'es de longues br`eches, et dans lequel un entrep^ot de charbon voisin remisait son mat'eriel.
— C’est l`a, expliquait Fant^omas, que depuis le vol je gare l’autobus. Hier, j’avais pr'etext'e une panne grave aupr`es du propri'etaire qui a un peu ferm'e l’oeil, parce qu’il a eu peur, je pense. Aujourd’hui, ma foi, je rentre directement et je laisse tout l`a.
L’autobus vira dans le grand terrain, puis gagna le hangar en ruine sous lequel s’entassait des b^uches. La voiture devenait invisible. Fant^omas sauta du si`ege.
— Et voil`a, Bouzille ! conclut-il. Nous n’avons plus qu’`a nous retirer.
Fant^omas allait s’'eloigner, en effet, sachant bien, 'evidemment, que dans quelques heures l’autobus serait retrouv'e, mais n’y attachant aucune importance, lorsque, ayant jet'e un regard `a l’int'erieur de la voiture, il 'eclata en jurons.
— Que faites-vous l`a ? Imb'eciles !
Les poings crisp'es, la face mauvaise, Fant^omas interrogeait les trois individus accroupis jusqu’alors sous les si`eges, bl^emes et p^ales. C’'etaient trois apaches, trois des faux m'ecaniciens qui avaient aid'e Fant^omas quai de l’H^otel-de-Ville.