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Le grand acte d'accusation que la litt'erature russe dresse contre la vie russe, cette n'egation compl`ete et ardente de nos propres fautes, cette confession qui a horreur de notre pass'e, cette ironie am`ere qui fait rougir du pr'esent, c'est notre esp'erance, c'est notre salut, l''el'ement progressif de la nature russe.
Et quelle est la signification des 'ecrits de Gogol que les Slaves admirent avec tant d'exag'eration? Quelque autre a-t-il plac'e plus haut que lui le pilori auquel il a attach'e la vie russe?
L'auteur de l'article du Moscovite dit que Gogol «descendit comme un mineur dans ce monde sourd sans tonnerre ni secousses, immobile et 'egal, marais sans fond, qui entra^ine doucement, mais sans retour, tout ce qu'il y a de frais (c'est un Slavophile qui parle); il descendit comme un mineur qui a trouv'e sous terre une veine qui n'a pas encore 'et'e entam'ee». Oui, Gogol a senti cette force, cette mine vierge sous la terre inculte. Peut-^etre m^eme l'e^ut-il entam'ee, mais malheureusement il crut avant le temps avoir atteint le fond, et au lieu de continuer `a d'eblayer, il se mit `a chercher l'or. Qu'en est-il r'esult'e? Il commenca `a d'efendre ce qu'il, avait d'emoli, `a justifier le servage, et finit par se jeter aux pieds du repr'esentant de la «bienveillance et de l'amour».
Que les Slavophiles m'editent la chute de Gogol. Ils y trouveront plus de logique peut-^etre que de iaiblesse. De l'humilit'e orthodoxe, de l'abn'egation qui place son individualit'e dans celle du prince, `a l'adoration de l'autocrate, il n'y a qu'un pas.
Et que peut-on faire pour la Russie quand on est du c^ot'e de l'empereur? Les temps de Pierre, le grand tzar, sont pass'es; Pierre, le grand homme, n'est plus au Palais d'hiver, il est en nous.
Il est temps de comprendre cela et, quittant enfin une lutte d'esormais pu'erile, de nous r'eunir au nom de la Russie, mais au nom aussi de l'ind'ependance.
Chaque jour peut renverser le vieil 'edifice social de l'Europe entra^iner la Russie dans le courant orageux d'une immense r'evolution. Est-ce le temps de prolonger une querelle de famille et d'attendre que les 'ev'enements nous d'epassent, parce que nous n'avons pr'epar'e ni les conseils, ni les paroles qu'on attend peut-^etre de nous?
Et n'avons-nous pas un champ ouvert `a notre conciliation?
Le socialisme qui partage si d'efinitivement, si profond'ement l'Europe en deux camps ennemis, n'est-il pas accept'e des Slavophiles comme de nous? C'est lo pont sur lequel nous pouvons nous donner la main.
'Epilogue
Pendant les sept ou huit derni`eres ann'ees avant la r'evolution de F'evrier, les id'ees r'evolutionnaires allaient s'accroissant, gr^ace `a la propagande et au travail interne qui prenait un essort de plus en plus consid'erable. Le gouvernement paraissait las de poursuites.
La grande question qui dominait toutes les autres et qui commencait `a agiter le gouvernement, la noblesse et le peuple, c''etait la question de l''emancipation des paysans. On sentait bien qu'il 'etait impossible d'aller plus loin avec le carcan du servage au cou. L'oukase du 2 avril 1842 qui invitait la noblesse `a c'eder quelques droits aux paysans, en retour des redevances et des obligations qu'on avait stipul'ees de part et d'autre, prouve assez clairement, que le gouvernement voulait l''emancipation.
La noblesse des provinces s'en 'emut, se divisa en partis, prenant cause pour ou contre l'affranchissement. On se hasardait `a parler de l''emancipation dans les r'eunions 'electorales. Le gouvernement permit `a la noblesse, dans deux ou trois chels-lieux, de nommer des comit'es pour aviser aux moyens d'affranchir les serfs. Une partie des seigneurs 'etaient exasp'er'es, ils ne voyaient dans cette grande question sociale qu'une attaque de leurs privil`eges et de la propri'et'e et s'opposaient `a toute innovation, se sachant appuy'es par l'entourage du tzar. La jeune noblesse voyait plus clair et calculait mieux. Ici, nous ne parlons pas de ces quelques individus pleins de d'evo^ument et d'abn'egation, qui sont pr^ets `a sacrifier leurs biens, pour effacer le mot d'egradant de servage du front de la Russie et pour expier l'ignoble exploitation du paysan. Les enthousiastes ne peuvent jamais entra^iner une classe enti`ere, si ce n'est en pleine r'evolution, comme la noblesse francaise a 'et'e entra^in'ee le 4 ao^ut 1792 par une g'en'ereuse minorit'e. La grande majorit'e des 'emancipateurs d'esiraient l''emancipation, non seulement parce qu'ils en comprenaient la justice mais aussi parce qu'ils en voyaient la n'ecessit'e. Ils voulaient r'egler l''emancipation `a temps pour r'eduire au minimum les pertes. Ils voulaient prendre l'initiative pendant qu'ils avaient le pouvoir. S'opposer et rester les bras crois'es 'etait le moyen le plus s^ur de voir l'empereur ou le peuple entrer dans la voie pour ne s'arr^eter qu'`a l'expropriation.
Le ministre des domaines publics, Kiss'eloff, le repr'esentant de l''emancipation dans le sein du gouvernement et le ministre de l'int'erieur P'erofski, qui a tu'e l'oukase du 2 avril par ses commentaires,recevaient des projets de toutes les parties de l'empire. Bons ou mauvais, ces projets d'ecelaient une grande pr'eoccupation du pays.
A travers toute la divergence d'opinions et de vues, `a travers toute la diff'erence de position, d'int'er^et de localit'e, un principe 'etait admis sans contestation. Ni le gouvernement, ni la noblesse, ni le peuple ne pensaient `a 'emanciper les paysans sans leurs terres. On variait infiniment dans l'appr'eciation de la quote-part `a conc'eder aux paysans, des conditions `a leur imposer, mais personne ne parlait s'erieusement d'une 'emancipation dans le prol'etariat, si ce n'est quelques incurables adeptes de la vieille 'economie politique.
Cr'eer une vingtaine de millions de – prol'etaires, c''etait une perspective qui faisait, et pour cause, p^alir le gouvernement et les seigneurs. Et pourtant, du point de vue de la religion de la propri'et'e, du droit absolu et imprescriptible de la possession et de l'usage illimit'e, il n'y avait aucun moyen de r'esoudre la question sans une insurrection en masse des paysans, sans un 'ebranlement forc'e de la possession territoriale: puisque les mutations des' propri'et'es faites `a main arm'ee sont accept'ees comme des faits accomplis d^ument l'egalis'es par l''economie politique.