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En 1849 une nouvelle phalange de jeunes gens h'ero"iques est all'ee en prison, et de l`a aux travaux forc'es et en Sib'erie [17] . Une terreur accablante abattit tous les germes, fit courber toutes les t^etes, la vie intellectuelle se cacha de nouveau ou ne laissa percer que la frayeur, qu'une d'esolation muette, et depuis chaque nouvelle qui venait de la Russie remplissait l'^ame de d'esolation et d'une profonde tristesse.
Nous ne nous arr^eterons point `a ce tableau lugubre d'une lutte in'egale o`u chaque fois la pens'ee est 'ecras'ee par la force. Il n'y a l`a rien de nouveau, c'est ce proc`es interminable qui traverse toute l'histoire et qui aboutit de temps en temps `a la cigu"e, `a la croix, aux autodaf'es, aux fusillades, aux pendaisons et aux d'eportations.
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Nous faisons allusion `a la soci'et'e de P'etrachefski Des jeunes gens se r'eunissaient chez lui pour d'ebattre des questions sociales. Ce club avait exist'e quelques ann'ees d'ej`a, lorsque, au d'ebut de la campagne de Hongrie, le gouvernement r'esolut `a lui donner les proportions d une vaste conjuration et fit multiplier les arrestations.
Il ne trouva que des opinions l`a o`u il cherchait des complots, ce qui ne l'emp^echa pas de faire condamner tous les accuses `a la peine de mort, afin de se donner la gloire de la gr^ace. Le tzar commua leur peine en celle des mines, de l'exil ou de soldat. On cite parmi eux Spechneff, Grigorieff, Dosto"iefski, Kachkine, Golovinnski, Mombelli etc.
Quoi qu'on dise, les moyens que le gouvernement emploie, moyens cruels, ne sont pas cependant de force `a 'etouffer tous les germes du progr`es. Ils font p'erir beaucoup de personnes dans des souffrances morales terribles, mais nous devions nous y attendre, et certes ces mesures r'eveillent plus de gens qu'ils n'en d'esarment.
Pour 'etouffer r'eellement en Russie le principe r'evolutionnaire, la conscience de la position et la tendance d'en sortir, il faudrait que l'Europe entr^at encore plus avant dans les principes et dans les voies du gouvernement de P'etersbourg, que son retour `a l'absolutisme f^ut plus complet. Il faudrait effacer le mot de «R'epublique» du frontispice de la France, ce mot terrible, lors m^eme qu'il est un mensonge et une d'erision. Il faut arracher `a l'Allemagne le droit imprudemment conc'ed'e de la parole libre. Le lendemain de la journ'ee o`u un gendarme prussien, aid'e d'un Croate, aura cass'e les derni`eres presses sur le pi'edestal de la statue de Guttenberg tra^in'ee dans la boue par des fr`eres ignorantins, ou, `a Paris, sur la place de la R'evolution, un bourreau, b'eni par le Pape, aura br^ul'e les oeuvres des philosophes francais, le lendemain, de cette journ'ee, l'omnipotence du tzar aura atteint son apog'ee.
Ceci est-il possible?
Qui peut dire de nos jours ce qui est possible et ce qui ne l'est pas? Le combat n'est pas fini, la lutte continue.
L'avenir de la Russie n'a jamais 'et'e plus 'etroitement uni `a l'avenir de l'Europe qu'il ne l'est aujourd'hui. On a vu nos esp'erances – mais nous ne voudrions r'epondre de rien, non par vanit'e pu'erile, de crainte que l'avenir ne nous donn^at un d'ementi, mais par impossibilit'e de pr'evoir quelque chose dans une question dont la solution ne d'epend pas exclusivement des donn'ees int'erieures.
D'un c^ot'e, le gouvernement russe n'est pas russe, mais en g'en'eral despotique et r'etrograde. Il est plus allemand que russe, comme le disent les Slavophiles, et c'est l`a ce qui explique la sympathie et l'amour avec lequel les autres gouvernements se tournent vers lui. P'etersbourg, c'est la nouvelle Rome, la Rome de l'esclavage universel, la m'etropole de l'absolutisme, voil`a pourquoi l'empereur de Russie fraternise avec l'empereur d'Autriche et l’aide a opprimer les Slaves. Le principe de son pouvoir n'est pas national, et l’absolutisme est plus cosmopolite que la r'evolution.
D'un autre c^ot'e, les esp'erances et les aspirations de la Russie r'evolutionnaire co"incident avec les esp'erances et les aspirations de l'Europe r'evolutionnaire et anticipent sur leur alliance dans l'avenir. L''el'ement national que la Russie apporte, c'est la fra^icheur de la jeunesse et une tendance naturelle vers les institutions socialistes.
L'impasse o`u sont arriv'es les Etats de l'Europe est manifeste. Il leur faut n'ecessairement s''elancer vigoureusement en avant ou reculer plus qu'ils ne le font. Les antith`eses sont trop inexorables, les questions trop tranch'ees et trop m^uries par les souffrances et les haines pour pouvoir s'arr^eter `a des semi-solutions, `a des transactions paisibles entre l'autorit'e et la libert'e. Mais s'il n'y apasde salut pour les Etats dans la forme danslequelle ils existent, le genre de leur mort peut ^etre bien diff'erent. La mort peut venir par la paling'en'esie ou par la putr'efaction, par la r'evolution ou par la r'eaction. Le conservatisme qui n'a d'autre but que la conservation d'un statu quo us'e, est aussi destructif que la r'evolution. Il an'eantit le vieil ordre, non pas par le feu ardent de l'inflammation, mais par le feu lent du marasme.
Si le conservatisme a le dessus en Europe, le pouvoir imp'erial en Russie non seulement 'ecrasera la civilisation, mais il an'eantira toute la classe d'hommes civilis'es, et puis…
Et puis, nous voil`a devant une question toute nouvelle, devant un avenir myst'erieux. L'autocratie, apr`es avoir triomph'e de la civilisation, se trouvera face `a face avec un soul`evement de paysans, avec une r'evolte colossale dans le genre de celle de Pougatcheff. La moiti'e de la force du gouvernement de P'etersbourg est bas'ee sur la civilisation et sur la profonde division qu'il a foment'ee, entre les classes civilis'ees et les paysans. Le gouvernement s'appuie constamment sur les premi`eres, c'est dans le sein de la noblesse qu'il prend les moyens, les hommes et les conseils. En brisant dans ses mains un instrument si essentiel, l'empereur redevient tzar, mais il ne suffira pas pour cela de laisser pousser la barbe et de rev^etir le zipoun. La maison Holstein-Gottorp est trop allemande, trop p'edantesque, trop apprise pour se jeter franchement dans les bras d'un nationalisme `a demi sauvage, pour se mettre `a la t^ete d'un mouvement populaire qui ne voudra au commencement que r'egler ses comptes avec la noblesse, qu''etendre les institutions de la commune rurale `a toutes les propri'et'es, aux villes, `a l'Etat entier.
Nous avons vu une monarchie entour'ee d'institutions r'epublicaines, mais notre imagination se refuse `a concevoir un empereur de Russie entour'e d'institutions communistes.
Avant que cet avenir 'eloign'e se r'ealise, il s'accomplira bien des choses et l'influence de la Russie imp'eriale en sera pas moins funeste pour l'Europe r'eactionnaire que l'influence de cette derni`ere le sera pour la Russie. C'est elle, c'est cette Russie soldatesque qui veut, par les ba"ionnettes, mettre une fin aux questions qui agitent le monde. C'est elle qui mugit et gronde comme la mer aux portes du monde civilis'e, toujours pr^ete `a d'eborder, toujours fr'emissante du d'esir d'envahir, comme si elle n'avait rien `a faire chez elle, comme si des remords et des vertiges troublaient l'esprit de ses souverains.
La r'eaction seule peut ouvrir ces portes. Ce sont les Habsbourg et les Hohenzollern qui solliciteront l'aide fraternelle de l'arm'ee russe et la guideront au coeur de l'Europe.
C'est alors que le grand parti de l'ordre verra ce que c'est qu'un gouvernement fort, ce que c'est que le respect de l'autorit'e Nous conseillons aux petits princes de l'Allemagne d''etudier d`es `a pr'esent le sort des princes royaux de la G'eorgie, auxquels on a donn'e `a P'etersbourg un peu d'argent, le titre d'altesse et le droit d'avoir une couronne royale sur leur voiture. L'Europe r'evolutionnaire, au contraire, ne peut ^etre vaincue par la Russie imp'eriale. Elle sauvera la Russie d'une crise affreuse et elle se sauvera elle-m^eme de la Russie.