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26 – DESCENTE DE POLICE BARRI`ERE SAINT-OUEN
`A moins de deux cents m`etres de la barri`ere de Saint-Ouen, alors qu’on apercevait d'ej`a dans le lointain l'eg`erement brumeux la masse des baraques des chiffonniers, M. Havard qui marchait t^ete basse aux c^ot'es de Juve, suivi `a distance respectueuse par tout un groupe d’officiers de paix que suivait eux-m^emes un 'epais bataillon d’agents, se retourna brusquement :
— Au rapport, commanda-t-il.
Les officiers de paix se group`erent autour du chef de la S^uret'e qui, le chapeau melon enfonc'e sur le front, la canne batailleuse, donnait ses ordres avec cette pr'ecision et cette nettet'e qui font de lui un grand manieur d’hommes :
— Vous avez bien compris, les uns et les autres, ce que nous allons faire ici ? Sous pr'etexte d’op'erations sanitaires, nous incendions le campement des chiffonniers. En r'ealit'e, nous avons l’intention tout bonnement d’op'erer une rafle, une rafle au cours de laquelle vous devez n’avoir qu’un objectif : arr^eter le Camelot dont on vous a distribu'e le signalement. Arr^eter ce camelot, voil`a ce que nous voulons. C’est bien compris ?
Les officiers de paix inclin`erent la t^ete, un murmure courut.
— C’est parfaitement compris, chef.
M. Havard reprit :
— Il va de soi, n’est-ce pas, que ces chiffonniers ne sont pas des assassins, ne sont pas des criminels, que pour la plupart, m^eme, ce sont de braves gens et qu’en cons'equence, si vous devez agir, les uns et les autres, avec une main de fer, vous ne devez pas craindre d’employer un gant de velours. La consigne est d’incendier toutes les baraques, et cela, je vous le r'ep`ete, pour forcer le Camelot `a s’enfuir et `a tomber entre nos mains, mais la consigne n’est pas de ruiner ces pauvres gens. Ceux qui ont des charrettes doivent pouvoir, tr`es librement, d'em'enager leurs meubles et emporter leurs affaires. Il suffira de surveiller les chargements et de s’assurer que personne ne se glisse dans l’une de ces charrettes pour nous 'echapper. Vous comprenez toujours, messieurs ? Reste donc `a voir la facon dont nous allons proc'eder. Messieurs, c’est extr^emement simple : les deux officiers de paix, les plus jeunes promus qui se trouvent ici, vont prendre avec eux deux cents agents et faire compl`etement entourer par des sentinelles plac'ees de cinq m`etres en cinq m`etres l’ensemble de ces baraques. Les autres officiers de paix vont prendre avec eux cinq agents et s’occuperont d’aller r'eveiller les chiffonniers dans leurs baraquements, avant d’y mettre le feu. Juve et moi, nous nous tiendrons en permanence au centre m^eme du campement et si jamais une arrestation avait lieu, il vous suffirait d’envoyer un agent nous pr'evenir. L’un ou l’autre nous viendrons imm'ediatement. Encore une fois, c’est bien compris ?
L’hygi`ene est, chez les chiffonniers, un mot d'epourvu de tout sens. Ils accumulent avec une n'egligence effrayante les pires d'etritus aux portes m^emes de la ville et il est parfois n'ecessaire, en temps d’'epid'emie notamment, de d'esinfecter radicalement leurs agglom'erations.
On le fait, il est vrai, le plus rarement possible, car il n’est personne qui n’'eprouve une certaine sympathie pour ces humbles mais courageux travailleurs. On le fait toutefois avec une rigoureuse intransigeance lorsqu’il le faut. On br^ule tout, on incendie tout. Aux chiffonniers de se retirer, puis de revenir le lendemain 'edifier `a nouveau, avec les mat'eriaux les plus h'et'eroclites, leurs malheureuses demeures devenues la proie des flammes. Or, il y avait longtemps que le service sanitaire de la Ville de Paris r'eclamait de la Pr'efecture de police et du minist`ere de l’Int'erieur l’autorisation de proc'eder `a une semblable 'epuration.
Lorsque la veille, Juve, en revenant de l’enqu^ete faite au domicile d’Ellis Marshall assassin'e, avait conclu que le Camelot, le Camelot ami des chiffonniers, devait ^etre l’auteur du crime, il avait demand'e `a M. Havard d’op'erer une vaste rafle `a la porte de Saint-Ouen M. Havard avait promis. Le lendemain soir, Juve recevait un petit mot du chef de la S^uret'e l’informant que l’op'eration allait ^etre encore plus radicale, car non seulement on ferait rafle, mais encore on incendierait, ce qui ne pouvait qu’ajouter `a l’efficacit'e des recherches.
***
Les malheureux chiffonniers qui, de temps imm'emorial, s’installent sur les « terrains de zone » pour y construire les pittoresques baraquements dans lesquels ils vivent leur mis'erable existence, sont souvent l’objet de poursuites analogues.
`A pas pr'ecautionneux, se gardant de faire le moindre bruit, 'evitant de causer, les agents, sous l’ordre des deux officiers d'esign'es par M. Havard, venaient d’envahir, d’investir plut^ot, le campement des biffins.
De distance en distance, un agent avait 'et'e plac'e, revolver au poing. Il avait recu la consigne stricte de ne laisser passer personne, de renvoyer `a l’un des deux officiers de paix commandant la manoeuvre tous ceux qui, dans quelques minutes vraisemblablement, reflueraient devant l’incendie.
Moins de dix minutes apr`es qu’il e^ut donn'e ses ordres, M. Havard, qui s’entretenait avec Juve au centre du campement des chiffonniers, portait `a ses l`evres un sifflet d’argent et en tirait deux coups stridents et prolong'es.
C’'etait le signal des op'erations. C’'etait aussi le commencement des sc`enes les plus p'enibles qu’il soit possible d’imaginer. De toutes parts, en effet, aux coups de sifflet du chef de la S^uret'e, les officiers de paix entour'es d’agents se pr'ecipitaient, heurtant `a la porte des cabanes.
Il 'etait `a peu pr`es minuit. Les chiffonniers qui s’'etaient couch'es `a six heures du soir et ne devaient commencer leur travail qu’`a quatre heures du matin, s’'eveillaient, ne comprenant rien `a ce qui se passait.
— Ouvrez, au nom de la loi.
— Mais qu’y a-t-il ?
— On vous le dira tout `a l’heure.
Les portes s’entreb^aillaient, des faces effray'ees d'evisageaient avec des yeux d’'epouvante l’uniforme des gardiens de la paix, puis des protestations s’'elevaient.