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— Lieutenant, je ne vous comprends pas.
— Sire, Votre Majest'e va comprendre.
En quelques mots, en effet, le prince Nikita mit le tsar au courant des multiples aventures qui avaient marqu'e le sauvetage du portefeuille rouge au moment du naufrage du Skobeleff.
Il lui dit, vantant avec une touchante sinc'erit'e le d'evouement de Juve, combien avait 'et'e p'erilleuse la recherche du portefeuille rouge, maintes fois vol'e, toujours retrouv'e, et seulement la veille au soir, d'efinitivement parvenu entre les mains du policier.
— Sire, concluait le prince Nikita, hier soir, quand j’ai tenu ce document, int'eressant la Russie tout enti`ere dans mes mains tremblantes, j’ai pens'e que l’on pouvait me tuer, que l’on pouvait me ravir encore une fois ce portefeuille et qu’alors, peut-^etre, jamais plus Votre Majest'e ne pourrait conna^itre ce document. Sire, voici les renseignements qu’il contenait, que Votre Majest'e m’'ecoute.
En quelques mots, mais employant sa langue natale, cette langue russe dont les inflexions sont douces et m'elodieuses, le prince Nikita, baissant les yeux, r'ep'eta le texte, d’ailleurs fort bref, qu’il avait appris par coeur, la veille.
— Sire, reprit alors l’officier, maintenant, vous savez, maintenant, ma mission est remplie.
Et le prince Nikita, levant les yeux, osa regarder face `a face le tsar.
Or, le souverain 'etait si p^ale, si bl^eme, serrait les dents dans un geste de col`ere si furieux, que le prince Nikita eut peur.
— Ah, Petit P`ere, s’'ecria-t-il avec un accent de d'evouement passionn'e et usant du tutoiement respectueux qu’emploient les Russes quand ils prient, sans doute j’ai trahi les ordres quand je me suis permis de lire ce document secret, mais, tu dois le comprendre, si j’ai agi ainsi, c’est qu’il me semblait que c’'etait le seul moyen que j’avais en ma possession d’arriver `a te faire savoir ce que tu devais savoir. Petit P`ere, pardonne-moi.
La voix du prince Nikita tremblait. C’est d’une voix plus tremblante encore que le tsar finit par r'epondre :
— Lieutenant, mes ordres interdisaient `a quiconque de prendre connaissance du contenu du portefeuille rouge. Quand vous l’avez ouvert, vous avez su ce que vous n’auriez jamais d^u savoir.
— Petit P`ere, r'epondit-il, c’est vrai, tu as raison. J’ai su ce que je ne devais pas savoir, ce que tu devais conna^itre seul, mais ne dis pas, Petit P`ere, que je t’ai trahi. Non, ne le dis pas. Maintenant, tu sais, et maintenant encore, puisque tu ne me pardonnes pas, tu vas ^etre seul `a savoir. Le lieutenant prince Nikita n’est pas de ceux qui sauvent leur vie au prix d’un manquement `a l’honneur. Comprends-moi bien. Petit P`ere, tu sais, toi, et, je te le r'ep`ete, tu vas ^etre seul `a savoir.
Brusquement, le prince Nikita reculait.
Quelque chose brilla dans sa main qu’il approchait de sa tempe.
Une d'etonation s`eche retentit.
Le lieutenant prince Nikita 'etait mort.
Il venait de se faire sauter la cervelle.
Or, la d'etonation r'esonnait encore dans l’usine. L’Empereur, livide, n’avait pas encore eu le temps de se pencher sur le corps de celui qui venait de mourir « pour ne plus savoir », pour remplir son devoir, qu’un brouhaha formidable 'eclatait dans le corridor voisin de la pi`ece o`u se tenait le tsar.
31 – LA LOI QUI SAUVE
— Vous, foutez-moi le camp.
— Mais enfin, monsieur Juve. Vous ne vous rendez pas compte de la gravit'e.
— Foutez-moi le camp. Comprenez-vous ? Non, tant pis.
— Mais je vous dis encore une fois, monsieur Juve.
Juve, d’un mouvement rageur, appela trois hommes qui, derri`ere lui, se tenaient immobiles, semblant attendre ses paroles.
— Puisqu’il ne veut pas s’en aller, prenez-le par les 'epaules et jetez-le dehors. Ah, nom de Dieu, nous avons autre chose `a faire en ce moment qu’`a 'ecouter ses dol'eances.
Les trois hommes, d’un seul mouvement, se pr'ecipit`erent sur l’interlocuteur que Juve venait de d'esigner `a leur d'evouement.
— Embarquez-le, ordonna Juve, `a la porte.
Il s’agissait de M. Rosenbaum a^in'e, et c’'etait de chez lui qu’avec un beau sang-froid Juve faisait chasser l’industriel.
Mais pourquoi Juve 'etait-il si en col`ere ?
Que faisait le policier, `a genoux, dans la cour de la cristallerie, et `a ce point nerveux, qu’indiff'erent `a tout protocole, oubliant m^eme qu’il se rendait coupable d’un v'eritable abus de pouvoir, d’une violation de domicile, il ordonnait en effet de chasser M. Rosenbaum ?
Juve ne semblait nullement pr^et `a se calmer.
Toujours `a genoux, et tandis qu’on expulsait M. Rosenbaum a^in'e, Juve criait :
— Ah ! nom de Dieu, mais on ne trouvera donc pas une lanterne ? une bougie ? les minutes pressent, les secondes.
Pr`es de lui, silencieux, effar'es par son courroux, abrutis par sa vivacit'e, deux hommes qu’on distinguait mal dans l’ombre levaient les bras en signe de d'esespoir.
— On en cherche partout, on va vous apporter de la lumi`ere tout de suite.