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— Pourquoi veux-tu que je me prive ?
— Je ne veux pas que tu te prives du tout, mais enfin, je t’admire. Tu vis sur un pied qui en dit long. Quand on a une automobile `a la porte, une trente-cinq chevaux.
— Quarante, mon vieux.
— Mazette. On sait ce que cela co^ute. Bref, on parle toujours des agents de change et des scandaleuses fortunes qu’ils font, je commence `a croire que le courtage maritime est une op'eration encore plus lucrative.
— Il est certain que je ne me plains pas. Sans gagner, comme tu parais le croire, des sommes 'enormes, je suis content. Le courtage maritime comme tu le dis, gr^ace au privil`ege qui r'eserve les op'erations `a sept ou huit int'eress'es, rapporte. Mais que de mal on se donne.
— Est-ce que, par hasard, ton m'etier n’est pas au contraire un m'etier de tout repos, un m'etier de p`ere de famille ?
— H'e non, mon vieux, il faut avoir les reins solides, l’esprit d'ecid'e, trois sous d’audace, et quatre sous de culot, je t’assure, pour faire ce que je fais.
— Allons donc. Tu touches des commissions sur chaque affaire que tu apportes aux assurances, tu te r'eserves un pr'el`evement. Il n’y a aucun risque `a courir.
— Tu te trompes, Maurice, tu te trompes lourdement, expliquait-il. Si, en r'ealit'e, je ne m’occupais v'eritablement que d’apporter des affaires aux compagnies d’assurances et de pr'elever une commission, tu aurais raison, je ne courrais aucun risque, mais je gagnerais beaucoup moins qu’en osant les petites sp'eculations et m^eme les grosses sp'eculations.
— Tu joues ? toi, Herv'e Martel, l’homme s'erieux par excellence ? tu joues ?
— H'e oui, je joue. D’une facon particuli`ere, mais enfin je joue. Tiens, veux-tu savoir comment ? C’est excessivement simple, et tu comprendras que c’est tentant. Hier, mon vieux Maurice, figure-toi que j’ai recu la visite d’un gros banquier qui fait venir, pour le compte d’une maison allemande, plusieurs millions d’or monnay'e, envoy'es d’Am'erique en Autriche. Ces millions d’or vont ^etre apport'es `a Cherbourg par un paquebot anglais, le Triumph, et mon homme me venait voir pour me demander de les assurer contre les risques de mer.
— Bigre. C’est une jolie affaire, la commission…
— La commission, peuh ! Les compagnies d’assurances, en effet, demandent des primes d’autant plus importantes que la marchandise est plus sujette `a s’avarier. Autrement dit et toutes proportions gard'ees, il est plus co^uteux d’assurer des oranges que des pi`eces de vingt francs. Non seulement les oranges peuvent couler en effet, mais elles risquent encore de s’ab^imer, ce qui n’est pas le cas des louis. Donc, pour l’assurance de ces millions, la prime qui n’avait `a pr'evoir que les risques de naufrage du Triumphe^ut 'et'e relativement assez faible et ma commission faible aussi.
— Et alors ?
— Et alors mon vieux, c’est l`a o`u je joue. J’ai demand'e `a mon client de me verser une somme repr'esentant le montant des primes d’assurances, puis, estimant qu’il n’y a aucun danger qu’un bateau de l’envergure de celle du Triumphvienne `a faire naufrage, j’ai gard'e cette prime destin'ee `a une compagnie d’assurances, pour moi, je me suis donc fait moi-m^eme, personnellement, l’assureur des millions. Parce qu’il me pla^it de courir un risque, parce que je suis assez audacieux pour le prendre `a ma charge, j’arrive `a toucher une somme importante, comprends-tu ?
— C’est une grave sp'eculation. Car enfin, si par hasard ces millions 'etaient vol'es, si le Triumphse perdait corps et biens, n’'etant pas couvert par une assurance, il te faudrait payer et…
— Et je serais nettoy'e. Eh oui, ce sont les risques du m'etier.
— C’est imprudent. Ca t’arrive souvent ?
— Le plus souvent possible. Chaque fois que j’estime que les risques sont illusoires. Bah, qui ne risque rien n’a rien. J’aime l’argent moi, et je l’aime pour les plaisirs qu’il procure. Allons, viens-tu, Maurice ? passons dans mon cabinet, je vais te remettre les cent mille francs que tu veux bien transformer pour moi en beaux et bons titres de rente.
Sur le seuil de la porte, Maurice de Cheviron s’arr^eta :
— Eh dis donc, tu ne vas pas me faire assassiner par les revenants ?
— J’esp`ere que non. Tu sais je n’ai rien de nouveau `a propos des deux aventures qui se sont pass'ees dans cette pi`ece.
— Tu n’as pas retrouv'e les titres ?
— Non.
— Diable. Et le grand remue-m'enage ?
— Pas la moindre id'ee, ou plut^ot…
— Ou plut^ot quoi ?
Mais Herv'e Martel s’arr^eta de parler, comme s’il n’e^ut pas os'e formuler une hypoth`ese.
— Ou plut^ot, mon cher, les id'ees que je me fais `a ce sujet sont si stupides, que j’aime autant ne pas te les dire.
— Mais au contraire, dis. L’autre jour, nous venions de bien d^iner, nous 'etions un peu gais. Certainement nous n’avons pas remarqu'e quelque chose qui nous aurait renseign'es. Ta vieille bonne par hasard, n’aurait-elle pas…
— Rosalie est au-dessus de tout soupcon, et nous avons bien vu mon vieux ce qui valait d’^etre vu dans la pi`ece. Non, sais-tu ce que je me dis ?