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Dans le petit Caf'e blanc, qui fait le coin de la place de Courcelles, un petit caf'e modeste, tranquille, o`u les consommateurs ne sont jamais bien nombreux, Nalorgne et P'erouzin n'egociaient, avec M. Bertrand, l’arrangement prochain.
M. Bertrand apparaissait comme un petit vieillard, d’^age ind'efinissable, plus pr`es de la soixantaine, cependant, que de la cinquantaine. Il 'etait grand, mais courb'e, maigre, il avait une face osseuse, embroussaill'ee d’une barbe forte et longue, une moustache relev'ee `a la mousquetaire. Sa mise 'etait simple, correcte. Un paletot lustr'e par l’usage, mais scrupuleusement bross'e, un melon que les averses avaient un peu d'eform'e, des bottines de coupe assez fine, bien cir'ees, mais pr^etes `a craquer. C’'etait le type du vieux militaire, vivant chichement d’une parcimonieuse retraite et perp'etuellement en qu^ete d’une petite occupation, d’un modeste emploi permettant d’ajouter quelque aisance au strict n'ecessaire que l’'Etat fournit `a ses anciens serviteurs. M. Bertrand, `a toutes les paroles de Nalorgne, `a tous les gestes de P'erouzin, s’inclinait, saluait, souriait, ne sachant, 'evidemment, dans sa candeur na"ive, comment manifester son contentement et le vif d'esir qu’il avait d’arriver `a une entente d'efinitive avec ceux qu’il n’osait pas appeler encore ses patrons.
— Eh bien, monsieur Bertrand, puisque nous sommes d’accord, au travail. C’est un peu imprudent, ce que nous allons faire, mais vous nous inspirez confiance. Tenez, vous allez entrer imm'ediatement en fonctions. Voici une facture, une facture de la maison Norel, que nous sommes charg'es d’encaisser chez un monsieur. Il est en ce moment huit heures moins vingt, h^atez-vous de vous rendre `a cette adresse, car il faut toucher `a huit heures exactement. On devra vous remettre dix mille francs. Je n’ai pas besoin de vous recommander de faire attention pour qu’il n’y ait pas d’erreur. En mati`ere de finances, une erreur est toujours d'esagr'eable et je dois vous pr'evenir que mon associ'e et moi sommes intraitables `a ce sujet. Nous ne nous trompons pas dans nos comptes, nous ne voulons pas que l’on se trompe. Allons, d'ep^echez-vous, monsieur Bertrand, vous en avez pour une demi-heure, trois quarts d’heure au plus, vous nous retrouverez ici, car pendant que vous allez effectuer cet encaissement, nous verrons `a 'etablir la liste des courses urgentes que nous aurons `a vous donner pour tout `a l’heure.
M. Bertrand s’inclina, salua, resalua. P'erouzin le cong'edia d’un geste superbe :
— Au revoir, mon ami, `a tout `a l’heure.
M. Bertrand n’'etait pas sorti que les deux hommes d’affaires se communiquaient leurs impressions.
— J’ai peur, r'ep'etait P'erouzin, j’ai peur qu’il ne soit bien b^ete.
— C’est le type qu’il nous fallait, au contraire. Vous allez voir, mon cher P'erouzin, que dans une heure d’ici nous serons plus riches de dix mille francs, de cinq mille francs plut^ot, car il faudra laisser la moiti'e du gain `a Prosper. Ah, il nous co^ute cher, Prosper.
***
Une heure plus tard, M. Bertrand, ayant d^ument touch'e les dix mille francs d’Herv'e Martel,— car le courtier maritime, n’ayant aucune raison de se d'efier d’une facture aux apparences r'eguli`eres qui lui 'etait pr'esent'ee `a la date pr'evue, avait pay'e sans la moindre difficult'e,— regagnait le Caf'e blanc.
M. Bertrand, sans doute depuis le moment o`u il sentait dans sa poche la liasse des dix billets de mille francs, avait gagn'e beaucoup d’assurance, car c’'etait presque sans timidit'e qu’il entra dans la petite salle basse.
Or, l’encaisseur en entrant dans la salle, demeura fig'e de surprise.
La table o`u Nalorgne et P'erouzin l’avaient entretenu une heure plus t^ot, 'etait d'ebarrass'ee, vide. P'erouzin et Nalorgne n’'etaient point dans le caf'e.
— Ca par exemple murmura le digne M. Bertrand, `a voix haute et s’adressant `a la cantonade, ca, par exemple, c’est un peu fort.
Et il appelait le garcon :
— S’il vous pla^it, les deux messieurs qui 'etaient l`a tout `a l’heure, que sont-ils devenus ?
— Ils sont partis.
— Il y a longtemps ?
— Une demi-heure. Ils ont 'et'e au t'el'ephone et ils sont partis.
— Et ils n’ont laiss'e aucune commission pour moi ?
— Pour vous ? non, pourquoi ?
— Vous ^etes certain qu’ils n’ont pas pr'evenu `a la caisse ?
— Dites donc, mademoiselle la caissi`ere, les deux clients qui 'etaient l`a tout `a l’heure, sont partis sans rien dire, n’est-ce pas ?
— Sans rien dire, affirma la caissi`ere. Est-ce qu’ils n’ont pas pay'e, par hasard ?
— Si, si, ils ont pay'e. Seulement, c’est monsieur…
— Eh bien, c’est raide, commenca l’encaisseur, figurez-vous que j’ai encaiss'e pour leur compte dix mille francs, `a c^ot'e, avenue Niel. Un service que je leur rendais. Ils devaient m’attendre ici, et je ne sais pas leur adresse.
— C’est curieux, en effet, d'eclara la caissi`ere, et vous ne les connaissez pas ?
— Ils venaient de m’embaucher. Ce sont les directeurs d’une agence commerciale.
— Ils vont peut-^etre revenir.
— Peut-^etre. Oui. Je vais attendre.
M. Bertrand commanda un mazagran, mit une grande heure `a le d'eguster, mais ni Nalorgne, ni P'erouzin n’apparaissaient.
`A la fin, M. Bertrand s’impatienta ;
— C’est effrayant, murmurait-il, parlant toujours `a voix haute et feignant de s’adresser `a l’un des garcons, je me demande vraiment ce que je dois faire.