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— L’esprit est encore bon, l’intelligence toujours ouverte, vive.
— Oui, mais les jambes ? plus rien `a faire.
Les deux hommes mont`erent au premier 'etage, frapp`erent `a la porte. Une voix puissante leur r'epondit :
— Entrez.
Ils p'en'etr`erent tous deux dans une vaste chambre au milieu de laquelle se trouvait un grand lit o`u 'etait 'etendu un homme au visage 'energique, au teint color'e, `a la chevelure grisonnante. 'Etait-ce bien l’oncle de ces deux jeunes gens, comme l’avait dit le domestique ?
Ces derniers, en effet, `a peine dans la chambre, esquissaient une sorte de salut militaire, et d’un ton `a la fois joyeux et respectueux ils s’'ecri`erent :
— Bonjour Juve, comment allez-vous ?
C’'etait Juve, en effet, 'etendu sur son lit de malade. Juve que son domestique, fid`ele `a la consigne, d'eclarait `a tout venant s’appeler M. Ronier et dont les neveux n’'etaient autres que les inspecteurs de la S^uret'e, ses jeunes coll`egues, L'eon et Michel. Qu’'etait-il donc advenu `a Juve ? Pourquoi le vaillant lutteur se trouvait-il ainsi terrass'e par le mal, 'etendu sur un lit, v'eritable loque humaine ?
Quelques mois auparavant, alors que Juve et Fandor poursuivaient Fant^omas et finissaient par le d'emasquer `a l’agence Thorin, le bureau de placement o`u les domestiques 'etaient cambrioleurs et assassins, Fant^omas, patron de cet affreux 'etablissement, avait, au cours d’une lutte, frapp'e Juve, `a la t^ete, d’un coup de manche de poignard. Longtemps le sympathique policier 'etait rest'e sans connaissance. Puis il avait 'eprouv'e des troubles dans les centres nerveux. Les m'edecins qui le soignaient avaient diagnostiqu'e une paralysie momentan'ee qui, disaient-ils, ne tarderait pas `a dispara^itre. Les jours s’'etaient 'ecoul'es. L’'etat g'en'eral de Juve redevenait excellent, mais, h'elas, ses membres lui refusaient tout service. Les jambes ne le soutenaient plus, c’est `a peine s’il pouvait se servir de ses bras, et avec quelle difficult'e.
Ah, le coup avait 'et'e terrible pour le vaillant policier, et dans son entourage on avait 'et'e atterr'e de le voir ainsi. Fandor, l’ins'eparable de Juve, atteint d’une d'epression, avait disparu de Paris.
Quant `a Juve, il n’avait pas craint, chose incompr'ehensible, extraordinaire, de donner tout d’abord une tr`es grande publicit'e `a son 'etat de sant'e. Il avait dict'e lui-m^eme des bulletins de sant'e o`u il ne se m'enageait pas. 'Etait-ce l`a une folie de malade ? Jusqu’au jour o`u Juve avait interdit de donner le moindre renseignement sur son compte, avait quitt'e Paris, s’'etait fait transporter `a Saint-Germain, dans une petite villa qu’il louait et o`u d'esormais il vivait ignor'e, sous le nom de M. Ronier, avec pour seule compagnie son fid`ele domestique Jean.
Juve toutefois recevait quelques visites dont celles de L'eon et Michel. Les deux inspecteurs venaient `a Saint-Germain tant pour tenir le c'el`ebre policier au courant de leurs affaires, que pour obtenir de lui des avis pr'ecieux. Car, ainsi que le disait Michel : si les membres de Juve d'esormais se refusaient `a tout service actif, l’intelligence restait enti`ere.
Ce matin-l`a, L'eon et Michel avaient beaucoup de choses `a dire au policier.
Et d’abord d’une affaire d'elicate dont ils avaient eu connaissance par des indiscr'etions, affaire qu’ils appelaient « Le myst`ere de l’avenue Niel ».
L'eon et Michel s’'etaient 'etonn'es d’apprendre que des disparitions s’'etant produites dans l’appartement d’un courtier maritime, Herv'e Martel, ce dernier n’avait pas port'e plainte alors qu’on s’attendait `a lui voir faire intervenir la police. Qu’en pensait Juve ?
— Il ne faut pas ^etre surpris, mes chers amis, leur d'eclara-t-il, lorsque certains particuliers, qui sont victimes d’une d'esagr'eable aventure quelconque, tenant de pr`es ou de loin `a quelque cambriolage ou chantage savant, ne s’adressent pas `a nos services. Vous savez que dans nos bureaux, dans notre administration, on est toujours tr`es consciencieux, plein de bonne volont'e, mais quelquefois maladroit, indiscret. Lorsqu’on m^ele la S^uret'e `a ses affaires, on est assur'e de l’indiscr'etion. J’imagine qu’un homme tel que M. Martel pr'ef`ere garder tout cela secret jusqu’au jour o`u il ne pourra plus faire autrement, soit qu’il ait trouv'e les coupables des vols dont il est victime, soit qu’il soit impuissant `a effectuer lui-m^eme les recherches.
— Moi, je ne comprends pas qu’il h'esite, dit Michel. De deux choses l’une : si l’on est victime de quelque chose, on porte plainte, ou alors, si on 'evite de le faire, c’est qu’on se sent morveux.
— Je vous reconnais bien l`a, mon cher Michel, avec vos id'ees nettes, arr^et'ees, vos grands principes. Mais dites-vous bien que la vie n’est pas une ligne droite que l’on peut suivre `a son gr'e. L’itin'eraire de notre existence comporte fr'equemment des chemins sinueux que l’on doit suivre, et lorsque la montagne est trop abrupte, plut^ot que de la gravir au risque de mille p'erils, mieux vaut la contourner.
— Vous parlez comme un livre, dit L'eon.
— C’est, poursuivit le policier, peut-^etre parce que j’ai vu beaucoup de choses.
Puis pour convaincre Michel :
— Mon cher, je comprends parfaitement l’attitude de M. Herv'e Martel. Un homme d’affaires comme lui, surtout un sp'eculateur de son esp`ece, – car ce courtier maritime est un sp'eculateur –, n’a jamais int'er^et `a faire conna^itre au public, c’est-`a-dire `a sa client`ele, qu’il a subi des pertes importantes. Voyez-vous, les vols, chez ces gens-l`a, ont toujours un caract`ere plus ou moins suspect. Et puis, enfin, n’imaginez pas que M. Herv'e Martel se d'esint'eresse des pertes qu’il a subies. S’il n’a pas convoqu'e la police officielle, il a pris `a son service des d'etectives priv'es.