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Lorsque le cycliste vit que les deux associ'es prenaient un vulgaire fiacre, il poussa un soupir de satisfaction :
— Pour une fois, j’ai de la chance. S’il m’avait fallu, avec mon manque d’entra^inement, suivre une automobile, je n’aurais jamais pu y parvenir. Mais o`u diable ces gaillards vont-ils m’emmener ?
L’inconnu se r'esigna `a se laisser guider, enfourcha sa machine et se faufilant, non sans difficult'e, au milieu des encombrements, ne perdit pas de vue le v'ehicule dans lequel 'etaient mont'es les deux agents d’affaires de la rue Saint-Marc.
Si ces deux nigauds de Nalorgne et P'erouzin avaient port'e leur regard autour d’eux, c’e^ut 'et'e l’occasion pour eux de retomber une fois de plus sur cette sagesse des nations ch`ere au moins au second nomm'e, pour dire : le monde est petit, seules, les montagnes, ne se rencontrent pas. Le jeune homme qui les suivait, en effet, n’'etait autre que celui qu’ils avaient mission de retrouver pour leur cliente M lle H'el`ene, la dactylographe d’Herv'e Martel.
Qu’'etait donc devenu le journaliste, depuis les heures tragiques o`u, s’efforcant de prendre Fant^omas, il avait d^u abandonner la poursuite du sinistre bandit pour ramasser son malheureux ami Juve, tomb'e sous les coups de l’ennemi ?
Pr'eoccup'e par la sant'e de Juve, Fandor, pendant de longues semaines, n’avait pas quitt'e le chevet de son ami. Mais bient^ot, il avait d^u se remettre `a son m'etier de journaliste. S’il 'etait revenu `a son ancien journal, La Capitale, il avait, sur le conseil de Juve, d'ecid'e de garder l’anonymat. D'esormais, ses articles paraissaient non sign'es.
Cependant, le mauvais 'etat de sant'e du policier s’'eternisait. Un jour, avec une force de caract`ere admirable, il avait d'eclar'e `a Fandor :
— Mon pauvre petit, je crois bien que la paralysie ne me quittera plus.
Ce qui ne l’emp^echait pas de continuer `a travailler une dizaine de jours auparavant. Juve avait dit au journaliste, `a propos des affaires myst'erieuses de l’avenue Niel :
— Il y a dans l’entourage d’Herv'e Martel des gens suspects et des 'ev'enements myst'erieux. Occupe-toi donc un peu de conna^itre les tenants et aboutissants de tout ce monde-l`a.
Or Fandor avait appris, d`es qu’il avait commenc'e ses enqu^etes, qu’il y avait, faisant partie du personnel de la charge d’Herv'e Martel, une certaine jeune fille du nom d’H'el`ene. Certes, il en existait d’autres, du moins on le disait, mais pour Fandor, il n’en 'etait qu’une. Le hasard, ou sa bonne 'etoile, ou simplement encore la perspicacit'e de Juve, allait-il le mettre sur la trace de la fille de Fant^omas ?
Sur ce, J'er^ome avait recu un mot de Jean, porte-plume de son ma^itre, le priant de surveiller le cocher Prosper et les individus qu’il fr'equentait. C’est ainsi que Fandor, tout naturellement, 'etait tomb'e sur Nalorgne et P'erouzin, ce qui explique qu’on le retrouve en train de les filer.
Le fiacre s’arr^eta enfin aux fortifications. Et Fandor, d'ecrivant avec sa bicyclette un virage savant, s’'eloigna du v'ehicule pour se dissimuler dans l’ombre des foss'es. Les parages de la porte de Montrouge 'etaient d'eserts en effet, `a cette heure de la soir'ee. Cependant Nalorgne et P'erouzin, apr`es avoir r'egl'e leur fiacre, franchirent la barri`ere et s’achemin`erent `a pied vers le sinistre quartier du Grand-Montrouge, dont les mis'erables habitations, m^el'ees `a de vagues ateliers, `a de sombres usines, donnent `a l’ensemble de la r'egion un aspect redoutable, lugubre.
— O`u diable vont-ils ? se demandait Fandor, derri`ere eux, le guidon `a la main.
Soudain, les deux associ'es s’arr^et`erent devant une masure surmont'ee d’une haute chemin'ee, ce qui lui donnait une allure d’usine. Ils frapp`erent `a une porte basse, attendirent quelques instants. La porte s’entreb^ailla. Les deux hommes p'en'etr`erent dans la propri'et'e, entrant dans le noir, et Fandor se retrouva dans une petite ruelle aux pav'es in'egaux.
Cependant aux coups frapp'es par Nalorgne et P'erouzin, quelqu’un 'etait venu ouvrir. Les deux associ'es avaient reconnu Fant^omas. Le bandit verrouilla soigneusement derri`ere lui, puis fit signe de le suivre aux agents d’affaires.
Nalorgne et P'erouzin n’'etaient pas autrement rassur'es. Jusqu’`a pr'esent, ils avaient trouv'e profit `a travailler pour Fant^omas. Mais ils 'etaient loin d’avoir le temp'erament 'energique et combatif du G'enie du Crime. Nalorgne et P'erouzin n’'etaient m^urs que pour les petites escroqueries, les modestes ind'elicatesses, les ignominies restreintes. L’audace de Fant^omas les terrorisait, mais, timides `a l’extr^eme et perp'etuellement inquiets, aussi bien du ch^atiment que de la vengeance, ils n’osaient r'eagir. Situation 'etrange que la leur, du reste. Ils faisaient des d'emarches pour ^etre accr'edit'es dans la police et faire partie de la S^uret'e parisienne. En ce m^eme temps, ils se trouvaient embauch'es par le plus redoutable des criminels, et depuis quelques jours 'etaient devenus ses complices. Nalorgne et P'erouzin se demandaient fr'equemment depuis quelques jours comment tout cela finirait. Pour l’instant toutefois, ils restaient plant'es l`a, yeux 'ecarquill'es devant le spectacle que leur montrait le Ma^itre. Apr`es leur avoir fait traverser quelques pi`eces encombr'ees de caisses de toutes sortes, ils les avait introduits dans un vaste atelier o`u une odeur d’acide prenait `a la gorge et vous arrachait des larmes br^ulantes. Quelques ouvriers. Des caisses.
Un homme allait et venait de l’'etabli `a la caisse ouverte. `A chaque voyage, il portait des rouleaux d’or, qu’il d'eposait dans la seule caisse qui f^ut encore ouverte.
Fant^omas expliquait :
— Voil`a les caisses qui seront rep^ech'ees du navire coul'e `a Cherbourg. Vous voyez ce qu’elles contiennent ?
— Naturellement, fit P'erouzin, des louis d’or, dame !
Fant^omas ricana, puis, haussant les 'epaules :
— Imb'ecile, c’est de la fausse monnaie. Vous Nalorgne, qui connaissez la musique, v'erifiez donc si les marques, les d'esignations que je viens de faire reproduire sur les caisses que nous avons ici sont conformes aux connaissements.