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— C’'etait mon devoir, Fandor.
— Votre devoir a-t-il chang'e ?
— Le devoir est toujours le devoir, mais mon p`ere a depuis longtemps d'ej`a renonc'e `a l’existence que je r'eprouve. Il s’est amend'e. Il expie.
— H'el`ene, est-ce possible ? Ne vous illusionnez-vous pas ?
— Je sais ce que je dis, Fandor. Voil`a six mois d'ej`a que je n’ai pas revu mon p`ere. La derni`ere fois qu’il m’a parl'e, il m’a jur'e de changer de vie. Il a tenu sa parole et d'esormais, Fandor, je suis pr^ete `a vous aimer, je vous aime.
— H'el`ene, H'el`ene, murmura-t-il, je suis d'esesp'er'e de ce que je vais vous dire. Vous vivez dans un r^eve, et dans un instant, je vais vous faire entrevoir l’affreuse r'ealit'e. Vous connaissez Herv'e Martel ?
— Oui. Fandor, c’est le courtier maritime chez lequel je travaille comme dactylographe depuis quelques mois.
— Savez-vous, poursuivit Fandor, qui est Herv'e Martel ?
— Je ne comprends pas votre question ?
Le journaliste avait l^ach'e les mains de celle qu’il aimait.
— Herv'e Martel, d'eclara-t-il, les dents serr'ees, comment se fait-il que vous ne vous en soyez pas apercue, H'el`ene ? Vous savez bien que c’est votre p`ere, que c’est Fant^omas.
La jeune fille, `a la grande surprise du journaliste, se contenta de sourire :
— Vous vous trompez absolument, mon pauvre Fandor, M. Herv'e Martel est bien M. Herv'e Martel, et non pas mon p`ere, comme vous le dites. Je suis pein'ee de vous voir m’accorder si peu de confiance.
— Pardonnez-moi, H'el`ene, je suis fou. Je ne sais o`u je veux en venir, mais c’est plus fort que moi, j’ai besoin d’avoir la preuve, la preuve certaine que votre p`ere ne se dissimule pas sous la personnalit'e d’Herv'e Martel. Ne m’en veuillez pas d’insister ainsi, ma conscience m’ordonne de pousser jusqu’au bout mon enqu^ete alors que mon coeur serait tout pr^et `a m’arr^eter sur un mot de vous.
La jeune fille, tr`es calme, se leva du banc o`u elle 'etait assise.
— Il doit ^etre environ neuf heures et demie, dit-elle, n’est-ce pas ?
— Neuf heures vingt-cinq.
— M. Herv'e Martel est un homme qui appr'ecie pardessus tout la r'egularit'e et l’exactitude, j’ai la pr'etention d’^etre une dactylographe mod`ele et pour rien au monde, je ne voudrais commettre une faute.
— O`u voulez-vous en venir ?
— `A ceci, continua la jeune fille : chaque soir, `a neuf heures et demie, M. Herv'e Martel me dicte son courrier dans un des salons de l’h^otel, je vous prie de m’excuser, il faut que j’aille le rejoindre. Toutefois, monsieur Fandor, M. Herv'e Martel ne se cache pas, il dicte au grand jour. Il doit ^etre actuellement dans le hall de l’h^otel, achevant de fumer son cigare, comme il fait tous les soirs, depuis qu’il est arriv'e `a Cherbourg. Rien ne vous emp^eche de me suivre, de le voir, de vous rendre compte.
Fandor, p'etrifi'e, demeurait au milieu du jardin, immobile.
H'el`ene se retourna, eut un sourire engageant et moqueur.
— Mais venez donc, dit-elle, monsieur Fandor, je vous en prie ?
12 – C’'ETAIT UN MANCHOT
Aux petites tables rang'ees le long des fen^etres qui donnaient sur la rade magnifique, des femmes en toilette achevaient leur repas, en compagnie de messieurs, cravat'es de blanc.
Il y avait en effet grande r'eception chez l’amiral Roustan et les nombreux invit'es venus des villes voisines 'etaient descendus au Palace pour rectifier leur toilette avant d’aller valser sur les parquets cir'es `a grand renfort de fauberts de la Pr'efecture maritime.
Herv'e Martel, lui, avait pris place `a la grande table, `a la table d’h^ote. Le courtier avait le front soucieux, il 'etait de mauvaise humeur, chagrin, ennuy'e. Aussi bien l’affaire qui l’avait amen'e `a Cherbourg, le naufrage du Triumph, `a bord duquel se trouvaient les millions imprudemment assur'es par lui-m^eme, n’'etait 'evidemment point de nature `a l’'egayer 'enorm'ement.
Pour la premi`ere fois de sa carri`ere, Herv'e Martel se trouvait en pr'esence d’une perte qui allait vraisemblablement ^etre irr'em'ediable. Pour la premi`ere fois il connaissait l’angoisse terrible de ceux qui se sentent accul'es `a la ruine, qui imaginent l’^apre mis`ere, toute proche et presque in'evitable. C’'etait un lutteur cependant et tandis que bien d’autres se fussent laiss'e aller au d'ecouragement, il esp'erait lui, il continuait d’esp'erer malgr'e tout. Il voulait esp'erer. Il comptait sur le sauvetage de la cargaison engloutie du Triumph. Herv'e Martel, quoi qu’il en soit et quelles que fussent ses esp'erances, avait fort mal d^in'e. Il s’'etait content'e de chipoter quelques plats, de grappiller un peu de dessert. On passa le caf'e. Malheureusement, si le Palace-H^otels’enorgueillissait d’un immeuble somptueux, le service y 'etait mauvais.
`A cette 'epoque de l’ann'ee, en plein hiver il y avait g'en'eralement peu de monde dans l’h^otel et ce soir-l`a, les ma^itres d’h^otel perdaient la t^ete. On venait de verser le caf'e, on avait oubli'e le sucre.
Herv'e Martel allait se d'ecider `a boire son caf'e sans sucre lorsque son voisin de table, un homme d’une trentaine d’ann'ees, en habit et qui, chose curieuse, avait d^in'e le haut de forme sur la t^ete, se pencha vers lui :
— Vous seriez aimable, monsieur, demanda-t-il, de bien vouloir mettre dans ma tasse deux morceaux de sucre. Le sucrier est l`a, je viens de renvoyer mon domestique et…