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Le manchot, cependant, n’'etait pas de cet avis :
— H'e, r'epondait-il en riant, vous en parlez `a votre aise et, pardonnez-moi de vous le rappeler, comme un homme qui a ses deux bras, si vous aviez 'et'e comme moi victime d’un accident, vous comprendriez peut-^etre mieux qu’il y a des entreprises t'em'eraires qu’il est pr'ef'erable de ne pas tenter, surtout lorsqu’elles sont impossibles.
— Vous parlez un peu au hasard, cher monsieur, puisque vous ignorez autant que moi les difficult'es r'eelles de l’entreprise et nous tomberons certainement d’accord lorsque vous apprendrez qu’un Norv'egien m’a fait des propositions que je me suis empress'e d’accepter. O`u Pastel a 'echou'e, sans m^eme avoir rien tent'e, quelque id'ee me dit que mon Norv'egien va r'eussir. D’ailleurs, continuait-il, quand on songe aux merveilles que r'eussit la science moderne, il semble bien inadmissible qu’on ne puisse pas, avec le temps, r'eussir `a retirer une fortune sous trente m`etres d’eau.
Le manchot r'epondit simplement :
— Croyez bien que je vous souhaite d’avoir raison. Mais j’ai grande confiance en Pastel.
Le manchot allait continuer lorsqu’un homme `a casquette galonn'ee approcha :
— Monsieur a-t-il besoin de mes services ? Monsieur veut-il que je lui passe son pardessus ?
C’'etait 'evidemment le domestique mis aux ordres de l’infirme. Herv'e Martel se tourna vers son compagnon :
— Vous connaissez la ville, monsieur ?
— Assez bien. Oui. Pourquoi ?
— Moi-m^eme, je connais tr`es mal Cherbourg, si vous n’avez rien de mieux `a faire, voulez-vous que nous fassions un tour ensemble ?
— Tr`es volontiers. Vous ^etes infiniment aimable de m’offrir votre compagnie, j’ai l’habitude de ne solliciter la compassion de personne, mais croyez que je suis sensible `a la sympathie. Voulez-vous me permettre de renvoyer mon domestique ? Je serais heureux de donner une heure de libert'e `a ce pauvre homme qui m’aide `a vivre.
— Je passe au fumoir prendre mon chapeau, dit Martel.
— Je vous suis. Pour moi, je reste toujours coiff'e. Il est trop compliqu'e d’avoir `a demander l’aide d’un serviteur.
Herv'e Martel, pr'ec'edant l’infirme, ouvrit la porte. La fen^etre 'etait ouverte et un courant d’air fit voltiger les papiers.
— Entrez, proposa Herv'e Martel `a son compagnon. Sans cela nous allons briser les carreaux.
Le manchot p'en'etra dans la pi`ece, Herv'e Martel referma la porte, cependant que la caissi`ere de l’h^otel qui avait elle-m^eme senti le courant d’air traversait la salle `a manger pour aller fermer les fen^etres. Or, la caissi`ere n’'etait pas encore au milieu de la salle, qu’elle s’arr^etait net dans sa course, cependant que les ma^itres d’h^otel, d'ej`a occup'es `a desservir, s’arr^etaient eux aussi, clou'es sur place.
Une terrible clameur venait de s’'elever :
— `A l’assassin.
Bruit d’un corps qui tombe. Nouveaux appels. Violents coups de pieds contre la porte du fumoir.
— Ouvrez. Ouvrez. Au secours ! On l’assassine !
Brouhaha 'epouvantable.
Cris, clameurs, coups de pieds qui r'esonnent dans les salles attirent domestiques et clients. La caissi`ere hurle. Les garcons attendent, bouche b'ee.
Le portier du palace, important personnage v^etu d’une redingote bien chamarr'ee de galons d’or larges de cinq centim`etres, retrouva le premier sa pr'esence d’esprit. C’'etait le Saxon, il b'egaya avec un fort accent :
— Ch^ur et chertain qu’il se passe un grime l`a-tetans. Je vais aller foir.
Et tr`es brave, le grave portier courut `a la porte du fumoir, ouvrit, cependant que d’un m^eme mouvement chacun des assistants se pr'ecipitait vers le seuil de la pi`ece.
La porte ouverte, il suffisait d’un coup d’oeil pour examiner en entier la petite pi`ece tendue de bleu clair, d’ordinaire si paisible. Deux hommes. L’un 'etait l’infirme, le manchot, les yeux dilat'es d’horreur, tapait `a grands coups de pied contre la porte pour prier que l’on ouvr^it, l’autre 'etait Herv'e Martel, couch'e de tout son long sur le sol et dont la poitrine, trou'ee d’un coup de poignard, laissait 'echapper des flots de sang qui dessinaient une grande flaque rouge d'ej`a.
Le manchot, d'efaillant, sortit en courant. Un m'edecin parut, se pencha sur le courtier maritime pour se relever aussit^ot en d'eclarant :
— Trop tard, cet homme est mort.
Des gens se bousculaient autour de l’infirme qui, tomb'e dans un fauteuil semblait pr^et `a s’'evanouir…
Dans le couloir on interrogeait le manchot qui r'epondait sans suite :
— Je ne sais pas. Un homme cach'e dans la pi`ece. Il avait un poignard `a la main. Ah, c’est horrible. Le malheureux 'etait devant moi. En plein coeur. Il a saut'e par la fen^etre. Il faut courir. Il faut pr'evenir la police. Mon Dieu, mon Dieu, quel malheur !
***
— Vous ne voulez pas me croire ? Vous ^etes persuad'e qu’Herv'e Martel, c’est mon p`ere ? Venez voir mon patron, vous pourrez vous convaincre que vous ^etes dans l’erreur. Suivez-moi.
Lentement, H'el`ene et Fandor regagn`erent le Palace-H^otel. Mais quand ils atteignirent celui-ci, un v'eritable tohu-bohu s’y manifestait.
— Seigneur, dit Fandor, qu’est-ce qu’ils font donc dans ce caravans'erail-l`a ?
L’'emotion des passants qui les croisaient, ayant l’air de se pr'ecipiter vers le centre de la ville, 'etait si visible que le journaliste ajouta :