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Quiconque l’aurait vu dans ce petit 'etablissement modeste, d'egustant rapidement, mais sans nervosit'e, deux oeufs au jambon, une tranche de viande froide qu’il arrosait d’un petit vin clair du pays, ne se serait certes pas dout'e de la personnalit'e de ce consommateur.
Il 'etait cependant populaire, c'el`ebre, il avait un nom qui inspirait la confiance et le respect, on savait que chaque fois qu’il y avait quelque part, un risque ou un danger, une audace quelconque `a manifester, on l’y trouvait.
Cet homme l`a, en effet, c’'etait Juve !
Le policier, sit^ot 'echapp'e de la bande sinistre des apaches dans laquelle il 'etait si extraordinairement tomb'e, n’avait eu en effet qu’une id'ee, poursuivre son enqu^ete, et s’efforcer de savoir, en venant `a Grenoble, pour quel myst'erieux motif l’infortun'e Daniel avait 'et'e assassin'e.
Juve avait quitt'e Paris rass'er'en'e, satisfait d’avoir des nouvelles de Fandor, rassur'e 'egalement au point de vue du coup de t'el'ephone de Bouzille aux termes duquel le cadavre de Daniel aurait disparu de la morgue.
Il avait pouss'e un profond soupir en voyant comme pr'ec'edemment, gisant 'etendu sur les dalles de la salle frigorifique la d'epouille mortelle de celui que la nature, aid'ee du maquillage, avaient si bien fait ressembler `a son ami Fandor, au point que lorsqu’il l’avait vu pour la premi`ere fois, dans le train d’Amsterdam `a Bruxelles, Juve s’y 'etait tromp'e, et s’'etait tromp'e `a nouveau `a la morgue !…
Le policier, d'esormais, enfoncait ses deux mains dans ses poches, l^achait les boutons de son pardessus et sortait de Grenoble par la route de Gi`eres conduisant `a Dom`ene.
Il passait de nombreux tramways 'electriques conduisant `a Uriage, et Juve aurait pu les prendre, pour s’'epargner une partie du chemin.
Mais non seulement il 'eprouvait le besoin de se d'egourdir les jambes et de profiter de l’air pur de cette belle matin'ee de printemps, mais encore il estimait que la marche allait lui 'eclaircir les id'ees et qu’en outre il importait de ne pas arriver trop t^ot au domicile de la personne `a laquelle il pr'etendait rendre visite.
Juve 'etait en effet venu `a Grenoble dans le but de faire la connaissance de cette M me Verdon dont il avait entendu parler `a plusieurs reprises et qui se trouvait indirectement m^el'ee `a la myst'erieuse affaire qui avait eu pour grave cons'equence la mort encore inexpliqu'ee du jeune Daniel.
Gauvin, le jeune notaire de Grenoble, avait fourni `a Juve des renseignements bizarres sur M me Verdon, sa cliente.
Certes, le policier, qui connaissait le pass'e 'egalement bizarre du jeune tabellion, tenait ce dernier dans une m'ediocre estime, et n’'etait pas dispos'e `a consid'erer chacune de ses paroles comme ayant la vertu des paroles d’'Evangile. N'eanmoins, le policier estimait que le mieux 'etait pour lui de se rendre compte et de s’entretenir avec la personne qui, malgr'e tout, semblait m^el'ee `a la tragique aventure conclue par la mort de Daniel.
M me Verdon, lui avait-on dit, est une vieille dame riche, qui vit en c'elibataire, dans une petite propri'et'e coquette et confortable qu’elle poss`ede. C’est une femme de moeurs tr`es simples, en excellents termes avec tout le monde, mais n’ayant d’intimit'e avec personne.
Elle recoit peu de lettres, elle n’introduit jamais de gens chez elle ; son existence para^it normale. Elle est ^ag'ee, sort peu, ce qui est compr'ehensible, et vit dans un 'el'egance bourgeoise du meilleur aloi qui laisse supposer que cette femme n’a eu ni revers de fortune, ni d'eboires, et que, d’autre part, ce n’est point une parvenue.
Juve s’'etait efforc'e d’obtenir de Gauvin quelques renseignements sur la situation p'ecuniaire de M me Verdon.
Le jeune homme, soit parce qu’il ne voulait pas renseigner le policier, soit parce qu’il avait r'eellement le respect du secret professionnel, s’'etait refus'e `a toute communication sur ce point.
Certes, Juve avait 'et'e mis au courant des mauvais bruits qui couraient sur M me Verdon…
Et notamment, quelques personnes lui avaient dit que c’'etait une aventuri`ere, d’autres, que c’'etait une femme ayant le plus terrible myst`ere dans son existence ; mais le policier savait trop ce que valent ces sortes de renseignements, pour y pr^eter attention.
Finalement, il finissait par n’avoir confiance qu’en une seule chose, son opinion personnelle.
Il arriva `a Dom`ene vers neuf heures et demie du matin et trouva le pittoresque village tout particuli`erement anim'e.
Il y avait eu, la veille, march'e aux gants, et, ce jour-l`a, les ouvri`eres prenaient quelque repos et s’accordaient de la libert'e ; des promenades s’organisaient, les gens sortaient de chez eux en habit de f^ete. Le lendemain du march'e `a Dom`ene, c’est un v'eritable dimanche.