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— Bouzille, ne bouge pas, disait Fandor. Laisse-moi m’appuyer sur ton 'epaule. Nous allons nous tra^iner jusqu’`a ce disque, nous le fermerons, et le rapide stoppera.
— Fameux ! approuva Bouzille.
Mais lorsque Fandor voulut se lever, lorsqu’il tenta de se mettre debout, il lui fut impossible de se redresser.
Les quelques instants de repos qu’il venait de prendre apr`es la marche pr'ecipit'ee qu’il avait faite, avaient eu pour r'esultat, en effet, d’augmenter l’enflure de ses chevilles, et, d'esormais, l’articulation elle-m^eme du cou-de-pied se refusait `a fonctionner.
En vain Fandor bandait-il sa volont'e, en vain, dans un geste de col`ere, se mordait-il les l`evres au sang, peine inutile ; il n’avait point fait deux pas appuy'e sur l’'epaule de Bouzille qu’il perdait l’'equilibre, et s’'ecroulait de tout son long sur la voie.
Mais l’instant pressait cependant. D’une minute `a l’autre, le rapide pouvait surgir, `a l’extr'emit'e de la courbe. Il fallait `a toutes forces aviser, il y avait urgence, il y avait n'ecessit'e.
Fandor n’h'esita point.
'Ecroul'e sur le ballast, souffrant le martyre, le jeune homme oubliait sa propre situation, son douloureux mal, pour ne s’occuper que des circonstances et ne penser qu’`a ce qu’il consid'erait ^etre son v'eritable devoir.
— Je ne peux pas avancer, grogna Fandor. De ce c^ot'e, il n’y a rien `a faire. Bouzille, c’est toi qui vas sauver l’aventure ! D'ep^eche-toi, trotte jusqu’au disque, ferme-le, d'emolis l’aiguille s’il le faut… Moi, je vais rester sur la voie, je ferai des signaux au m'ecanicien. Ce sera bien le diable s’il ne s’arr^ete pas tout `a fait.
Or, Bouzille 'ecoutait avec une anxi'et'e visible, avec un trouble qu’il ne cherchait pas `a dissimuler, les paroles de Fandor.
— Heu ! faisait-il, hochant la t^ete de droite `a gauche, vous en avez de dr^oles de commissions, m’sieur Fandor ! Et comme ca, sans vous commander, combien que ca vaut d’travaux forc'es, de d'emolir une aiguille et toucher `a un disque ? J’ai entendu dire, moi, que c’'etait pas des trucs `a faire !
Mais les scrupules de Bouzille, ses h'esitations m^eme en pareille mati`ere, ne duraient jamais longtemps. Un nouveau sentiment succ'edait `a la crainte dans l’esprit du chemineau, et c’'etait d’une voix int'eress'ee que Bouzille soudain remarquait :
— Enfin, m’sieur Fandor, pour que j’fasse ce que vous m’demandez, combien c’est qu’vous m’donnerez ?
— Rapace !… articula Fandor.
Le jeune homme se h^atait d’ajouter :
— Bon Dieu, ne perds pas de temps, Bouzille ! Tu auras cent francs… deux cents francs… ce que tu voudras… D'ep^eche-toi, animal…
Aux offres de Fandor, la physionomie de Bouzille s’'etait 'epanouie de facon magnifique. Le chemineau, tr`es certainement, 'etait 'ebloui par la perspective de gagner deux billets de cent francs, chose qui ne lui 'etait pas 'evidemment arriv'ee souvent. Bouzille toutefois r'etorquait :
— Eh bien, c’est dit, m’sieur Fandor, j’accepte la combine, et je marche pour vous jusqu’`a la gauche. Seulement, y m’faudra bien deux cent cinq francs, car, voyez-vous, en courant sur le ballast, s^urement que j’vais esquinter mes godasses… et les gniafs, dame, en ce moment, y sont hors de prix !…
`A cet instant, Fandor perdait patience :
— Mais cours donc, bon Dieu ! hurla-t-il. Cours donc ! Ah ca ! tu ne comprends donc pas que d’une minute `a l’autre le train va arriver !
— C’est bon, c’est bon…
Bouzille partit en galopant, 'evitant d’ailleurs soigneusement de marcher sur le ballast, ce qui prouvait qu’il 'etait v'eritablement retors, car il ne risquait aucunement, en proc'edant ainsi, d’ab^imer ses 'epais souliers qui, d’ailleurs, en avaient vu bien d’autres.
Bouzille trottait au long de la voie, et bient^ot disparaissait `a l’extr'emit'e de la courbe.
Fandor, qui l’avait suivi des yeux, se prit alors `a soupirer profond'ement :
— Mon Dieu, se demandait le journaliste, arrivera-t-il `a temps ? Pourra-t-il fermer le disque ? Le train ob'eira-t-il `a ce signal d’arr^et, qui, sans doute, surprendra le m'ecanicien.
Fandor s’'etait remis `a genoux. Il 'etait au milieu des rails, il s’'ecorchait les mains `a se tra^iner sur le ballast, il finit par s’arr^eter :
— Bon Dieu, se disait-il, il faudra bien que pour une fois j’aie la bonne veine pour moi et que je retourne les cartes…
`A cet instant, J'er^ome Fandor, immobile, commenca de fixer le disque dont il apercevait l’'eclat rouge au lointain. Fandor calculait par la pens'ee le temps qu’il fallait `a Bouzille pour arriver au signal, et tr`es 'emu, se disait :