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Juve, h'elas ! n’obtenait aucune pr'ecision, `a peine les habitants de l’enfer pouvaient-ils lui raconter qu’ils avaient entendu des bruits, un va-et-vient sur le fleuve, mais qu’ils ne s’en 'etaient pas autrement occup'es.
— On dormait, confiaient-ils… On dormait parce qu’on 'etait saouls et qu’on voulait se dessaouler, histoire de recommencer `a boire, puisqu’il restait des bouteilles !
Deux heures plus tard, Juve quittait les bandits.
Juve tombait de fatigue et ne le cachait pas `a Bouzille.
Le petit jour, aussi bien, commencait, et il avait h^ate de rentrer chez lui, de prendre quelque repos, et cela d’autant plus que Juve 'etait toujours d'ecid'e `a partir au plus vite `a Grenoble, pour y interroger cette M me Verdon qui, au dire du jeune Th'eodore Gauvin, avait envoy'e le myst'erieux Daniel en mission secr`ete `a Amsterdam.
Bouzille, tout au contraire, qui avait fortement bu, mettant `a profit l’hospitalit'e dont faisaient preuve les habitants de l’enfer, n’'eprouvait aucune envie d’aller se coucher… Bouzille, d’ailleurs, n’oubliait pas ses projets. Il quittait donc Juve en lui serrant la main d’un ton protecteur, en s’excusant aussi de l’avoir d'erang'e :
— Voil`a, disait Bouzille, c’est comme ca qu’on s’goure aussi, des fois… M’sieur Juve, moi, n’est-ce pas, j’croyais que j’avais d'ecouvert une piste int'eressante, mais je m’suis fichu le doigt dans l’oeil. Ca sera pour une autre fois, hein !
Bouzille toussait pour se donner de l’importance, il ajoutait :
— Car aujourd’hui, m’sieu Juve, y a pas, faut que j’vous quitte, il est cinq heures du matin, et dame, `a six heures juste, j’dois ^etre `a la morgue pour boire un verre avec le garcon qui m’pr'esentera au chef du personnel.
Bouzille quittait imm'ediatement Juve, qui lui souhaitait naturellement toutes les f'elicit'es du monde dans sa nouvelle carri`ere, et trottinait, fort joyeux, dans la direction de la morgue.
Bouzille, en arrivant devant le lugubre 'etablissement, fut 'etonn'e de voir les portes ouvertes.
— Tiens, pensa-t-il, ca, c’est curieux. Justement on m’avait dit que ca n’ouvrait pas avant six heures du matin. Y m’a donc fichu d’dans, l’copain ?
Maugr'eant, car Bouzille pr'evoyait que s’il devenait fonctionnaire, il lui faudrait chaque jour se lever de fort bonne heure, ce qui n’'etait point dans ses go^uts, Bouzille entrait dans le b^atiment et se dirigeait vers la courette int'erieure.
— H'e ! Jules ! appelait-il.
Jules, l’un des garcons de la morgue, ami de Bouzille, accourut.
— Alors, quoi ? demandait le chemineau. Comment qu’ca se fait que les portes sont d'eboucl'ees ? C’est pas l’heure, pourtant…
Mais Bouzille n’avait point fini de parler que le garcon se pr'ecipitait sur lui, lui fermant la bouche d’autorit'e.
— Chut, disait-il, fais pas de remarques ! Tais-toi donc, bon Dieu ! Ah ! c’est pas l’instant de gueuler…
Bouzille ouvrit de grands yeux, hocha la t^ete, puis interrogea :
— Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
Le garcon haussa les 'epaules d’un air d'esesp'er'e.
— Ce qu’il y a ? Dame, je n’sais pas… Des sales blagues, bien s^ur… des choses pas ordinaires.
— Quoi, enfin ? demanda Bouzille.
Jules confessa tout d’un trait :
— Eh bien, voil`a : il y a des morts qui se prom`enent, qui changent de table, et qui vous 'eternuent au nez !… Tu comprends que c’est pas ordinaire…
— Oui, j’comprends, fit Bouzille.
Mais Bouzille, assur'ement, mentait.
Que s’'etait-il donc pass'e, et d’o`u provenait l’'emotion de Jules ?
Elle 'etait `a vrai dire assez naturelle, et pouvait s’expliquer parfaitement.
Jules, le garcon de la morgue, avait recu la veille au soir de Juve des instructions formelles.
Juve, en effet, qui se passionnait `a ce moment relativement `a l’enqu^ete qu’il faisait sur le personnage de Daniel, ce sosie de Fandor qu’il avait retrouv'e dans le train, avait dit au garcon :
— J’entends, n’est-ce pas, que ce cadavre soit tr`es soigneusement conserv'e. Vous allez donc le mettre dans le frigorifique, et pr^eter toute votre attention `a ce que la temp'erature, dans l’appareil, soit parfaitement r'egl'ee.
— Oui, m’sieur Juve, avait dit le garcon, qui s’'etait en effet empress'e de soigner le mort, comme il le disait, puisque c’'etait un mort recommand'e !
Jules avait couch'e le cadavre dans l’appareil frigorifique, et le policier une fois parti, comme c’'etait l’heure de la fermeture, avait, lui aussi, quitt'e la morgue.