Шрифт:
Ce qui me contrarie souverainement, c’est de partir d’ici avant d’avoir ta lettre qui est en chemin en ce moment. J’aurai bien le soin de recommander ici qu’on me la transmette `a Varsovie, mais m’y trouvera-t-elle? Si bien que maintenant je pourrais rester des 3 et 4 semaines sans avoir de tes nouvelles, car d`es `a pr'esent c’est `a Moscou qu’il faudra que tu m’adresses tes lettres. A Moscou…
Eh bien, ma chatte, commences-tu maintenant `a croire `a l’absence? Quant `a moi, j’en suis p'en'etr'e… Il me semble qu’il y a six mois que je t’ai quitt'e… et cependant avant-hier, le 11, il y a eu juste un mois, que nous lisions, le soir, dans le grand salon quelques pages de Jocelin*. Te souviens-tu de cette soir'ee? Ah oui, je dois l’avouer, l’absence me r'eussit mal, les objets qui m’entourent, loin de me distraire par leur nouveaut'e, ne font que m’attrister. Ils s’interposent comme un mur entre moi et cette vie aim'ee que j’ai quitt'ee et qui recule tellement dans le lointain, qu’il me semble impossible que jamais je parvienne `a la ressaisir. Quant `a toi, tu me fais l’effet d’un ^etre fantastique impossible. Je me demande si je suis bien le m^eme homme qui il y a quelques jours encore s’appelait le bon loup, le vieux chien, etc. etc., qui 'etait l’objet d’une pr'eoccupation constante, d’une si affectueuse sollicitude. D'ecid'ement c’'etait un r^eve et ce qui le prouve, c’est qu’il 'etait si doux.
Allons, un peu de raison pour l’amour de Dieu, car si cette disposition d’esprit allait prendre le dessus, que deviendrai-je `a Moscou, que je sentirai la distance cro^itre entre nous, cro^itre par centaines de lieues, et la cha^ine s’alourdit de plus en plus, en s’allongeant?.. Un peu de raison me serait si n'ecessaire, ne f^ut-ce que pour faire aboutir ce maudit voyage `a un r'esultat quelconque et pour ne pas perdre tout le fruit de sacrifice que je m’impose, car, je le pr'evois, je vais au-devant d’une foule d’impressions p'enibles, des malentendus, de contradictions, tant `a Moscou, qu’`a P'etersbourg, et ce n’est qu’`a force de calme et de raison que je puis esp'erer de les conjurer, en partie au moins…
Que fais-tu en ce moment, ma chatte ch'erie? A la r'eception de cette lettre tu seras probablement dans les pr'eparatifs de ton d'em'enagement pour Tegernsee. La bonne Casimire y est-elle d'ej`a? Car `a l’heure qu’il est je la suppose d'elivr'ee de la grossesse de sa belle-fille? Vas-tu quelquefois, pour l’amour de moi, saluer le Bouvreuil sur son perchoir? Sais-tu quelque chose de S'ev'erine et de son cong'e? La bonne humeur de ton fr`ere se soutient-elle? Et l’inexorable belle-soeur * a-t-elle fait gr^ace `a la figure de la B"ohnen? Comment celle-ci se pla^it-elle `a Munich? [22] Mais avant toute chose parle-moi de ta sant'e, c’est-`a-d<ire> de cette sacr'ee m^achoire qui brave tous les rem`edes? Les sangsues et les poudres t-ont-elles procur'e quelque soulagement? Et Marie? Maintenant que la voil`a ma^itresse absolue du terrain, comment puis-je me flatter que je n’en serai pas damn'e `a tout jamais. Quoiqu’il en soit, embrasse-la mille et mille fois pour moi. Que ne donnerais-je pas pour la voir en ce moment, de cette table d’auberge o`u j’'ecris, remuer laborieusement les meubles dans ton coin?
22
Далее 4 строки густо зачеркнуты так, что прорвана бумага.
Je quitterai Vienne demain matin `a 7 h<eures>. Cette fois Vienne me laissera un souvenir beaucoup plus terne que les pr'ec'edentes. C’est apr`es tout une petite ville comparativement `a une ville comme Paris et de plus un fort maussade s'ejour pour tout 'etranger qui serait ici `a demeure. L’autre jour le Brochet et moi, nous sommes all'es fraternellement passer une demi-journ'ee `a Sch"onbrunn*. Nous avons grimp'es `a la Gloriette, situ'ee sur une hauteur en face du Ch^ateau d’o`u l’on domine tout Vienne. La vue qu’on a de l`a est magnifique, et les deux amis sont rest'es plong'es dans une muette extase, contemplation, sans songer m^eme `a se communiquer leurs impressions respectives. Apr`es quoi ils se sont dirig'es vers la m'enagerie, o`u l’un d’eux a paru beaucoup s’amuser, et ont fini leur tourn'ee par le casino o`u ils se sont fait servir l’un qui 'etait encore `a jeun un ch'etif d^iner, et l’autre sa tasse de caf'e au lait. Puis vers le soir ils sont rentr'es ensemble, sans se parler beaucoup, il est vrai, mais heureux en apparence de la pr'esence l’un de l’autre.
Apr`es la figure du Brochet celle que j’ai vue ici avec le plus de plaisir est assur'ement la figure de Jennyson. Ne va pas te r'ecrier contre ce t'emoignage. Il faudrait le voir, comme je le fais, `a la lumi`ere de Vienne et `a travers le prisme des souvenirs de Munich. Il m’a fait d’ailleurs un accueil parfaitement aimable, et tu pourrais dans l’occasion en faire le compliment `a Casimire. Je lui laisse par reconnaissance les 4 volumes de l’ouvrage de Custine*, qu’il 'etait tr`es curieux de lire et qu’il est difficile de se procurer ici. Il m’a promis de les renvoyer `a Munic aussit^ot qu’il les aura lu et je l’ai m^eme engag'e `a te les faire parvenir `a Tegernsee. Alors, ma chatte, tu n’as qu’`a lire le troisi`eme volume, qui contient une description tr`es anim'ee et tr`es pittoresque de Moscou, pour essayer de te faire une id'ee telle quelle d’une ville qui, `a trente et un an de distance, aura 'et'e le th'e^atre des tribulations de Napol'eon et des miennes*.
Encore une figure bien connue que j’ai retrouv'ee ici, c’est l’ami Badeni, le duelliste Badeni, le cruel et sensuel Badeni. Il a pass'e l’hiver ici et se trouve si bien de sa cure de l’ann'ee derni`ere qu’il ne croit pas ^etre dans le cas de la r'ecidiver. Je le rencontre tous les jours chez le premier confiseur d’ici, o`u nous nous r'egalons de glaces `a l’envi l’un de l’autre, apr`es quoi il m’accompagne en devisant jusqu’`a la porte de mon auberge.
Mon fr`ere, qui est de retour de Bade depuis trois jours, me charge de te dire mille amiti'es. Il est plus d'emont'e, plus d'emoralis'e encore que moi de l’horrible voyage que nous allons faire. Ah, qu’il aimerait ^etre encore `a l’heureux temps o`u il pouvait demander tous les jours `a Marie: «Wen hast du heute begegnet?»
Adieu, ma chatte ch'erie. Que le bon Dieu te prot`ege et te conserve, jusqu’`a mon retour au moins. Car alors c’est moi qui m’en chargerai. Voici, par surcro^it de pr'ecaution, le duplicata de mon adresse `a Moscou dont tu prierais Viollier de munir une demi-douzaine d’enveloppes de lettre, avant ton d'epart p<our> Tegernsee.
Вена. 13 июня <18>43
Итак, милая кисанька, завтра мы пускаемся в путь. Я добился от брата, чтобы он сократил время своего лечения, так что мы решительно отправляемся завтра, 14-го. Мы проедем по железной дороге полпути до Кракова, затем от Кракова в Варшаву, где пробудем несколько дней, и оттуда я тебе напишу.
Мне в высшей степени досадно уезжать отсюда, не получив твоего письма, которое должно теперь быть в пути. Я позабочусь о том, чтобы мне переслали его в Варшаву, но застанет ли оно меня там? Я так могу остаться на 3–4 недели без весточки от тебя, так как с этого дня тебе следует адресовать свои письма ко мне в Москву. В Москву…
Ах, милая кисанька, начинаешь ли ты теперь думать о разлуке? Что до меня, я проникнут ею насквозь… Мне кажется, вот уже полгода, как я тебя покинул… и тем не менее третьего дня, 11-го, ровно месяц прошел с тех пор, как мы читали с тобой вечером в большой гостиной «Жоселена»*. Помнишь ли ты этот вечер? Да, должен сознаться, разлука мне плохо удается; окружающие меня предметы, вместо того чтобы привлекать меня своей новизной, только внушают грусть. Они встают словно стена между мною и той любимой жизнью, которую я оставил и которая течет вдали так, что мне кажется невозможным когда-нибудь соединиться с ней. Что до тебя, ты мне кажешься невероятно фантастическим существом. Я спрашиваю себя, в самом ли деле я тот человек, который еще несколько дней назад звался славный волчище, старый пес и пр. и пр., который был предметом постоянных забот и самого любовного участия. Решительно это был всего лишь сон, а то, что он был так сладок, только подтверждает это.