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— Michel ne s’est pas tromp'e, ni moi non plus. Nous avons bien vu tout `a l’heure un g'eant dans la montagne…
L’instituteur, cependant, vers six heures du soir, s’en allait, fumant une cigarette, le long de l’avenue de la gare, vers le petit restaurant o`u il prenait pension ainsi que quelques c'elibataires employ'es `a Grenoble.
C’'etait un modeste 'etablissement o`u les habitu'es pouvaient avoir une nourriture aussi saine qu’abondante, pour un forfait de deux francs par jour.
L’instituteur retrouvait l`a un employ'e du chemin de fer, deux commis d’un grand magasin de nouveaut'es, et un employ'e de la pr'efecture. `A eux quatre, ils constituaient une petite 'equipe de bons camarades, qui, fr'equemment apr`es le d^iner, prenaient un vif plaisir `a jouer `a la manille.
L’instituteur 'etait `a peine arriv'e au restaurant, qu’apr`es avoir 'echang'e quelques paroles banales, ses amis l’interrogeaient.
— Et toi, Marcelin, lui demanda-t-on, l’as-tu vu cet apr`es-midi ?
— Quoi donc ? demanda l’instituteur.
L’employ'e du chemin de fer lui expliqua :
— Para^it qu’on a vu quelque chose de surprenant dans la montagne, au sommet du Casque-de-N'eron. Un homme extraordinaire, immense, un vrai g'eant couch'e dans la neige !
L’instituteur sursauta :
— Ah, par exemple ! fit-il, c’est donc vrai cette histoire-l`a ?
L’un des deux commis de nouveaut'es intervenait :
— Ca m’a tout l’air d’^etre une plaisanterie, fit-il. Il y a des gens qui pr'etendent avoir vu un homme gigantesque couch'e dans la neige, mais quand ils ont voulu le montrer `a d’autres, ils ont 'et'e incapables de le faire. Je n’y crois gu`ere `a leur g'eant ! Et toi ?
L’instituteur demeurait perplexe, et d'esormais sa conscience d’honn^ete homme lui reprochait d’avoir puni deux de ses 'el`eves, Michel et le petit Louis F'erot, en les accusant d’avoir menti.
Certainement il avait d^u se passer quelque chose ; sans aucun doute, les enfants avaient vu, comme les gens de Grenoble, un ph'enom`ene anormal se produire dans la montagne.
— Mais, interrogea l’instituteur, qu’est-ce qu’on en dit dans la ville ?
Et d`es lors commencait entre les quatre amis une discussion confuse et impr'ecise sur les propos qui avaient 'et'e tenus par les uns et par les autres.
Plus on discutait, et moins on avait de certitude.
Au cours du d^iner, les quatre jeunes gens finissaient par oublier le sujet primitif de leur conversation, et d`es lors celle-ci d'eg'en'erait. On en venait `a raconter les histoires les plus invraisemblables et les plus diverses 'egalement. Cependant que les uns d'eveloppaient des r'ecits d’escalades extraordinaires dans les Alpes, d’autres, plus imaginatifs, et moins int'eress'es par la question sportive, narraient, avec force d'etails inqui'etants, les l'egendes de la r'egion relatives aux apparitions singuli`eres et terrifiantes survenues dans toutes sortes de circonstances au cours des si`ecles pass'es et m^eme `a nos 'epoques contemporaines.
La soir'ee se prolongeait fort tard, et assur'ement, lorsqu’ils achevaient leur manille, les quatre jeunes gens qui s’'etaient retrouv'es pour d^iner, ne songeaient plus `a l’incident primitif qui avait orient'e leur conversation du d'ebut de la soir'ee, d’une part vers l’alpinisme et ses dangers, et d’autre part, vers les l'egendes montagnardes populaires dans le Dauphin'e.
Le lendemain matin, rien d’anormal ne se passait `a Grenoble, et l’instituteur, qui 'etait arriv'e dans la cour de l’'ecole pour y retrouver ses 'el`eves, r'eussissait sans peine `a leur apprendre pendant toute la matin'ee, l’histoire de la fin du r`egne de Philippe-le-Bel, sans que le moindre d'esordre r'esult^at des incidents de la veille.
`A deux ou trois reprises seulement, quelques 'el`eves avaient jet'e les yeux furtivement dans la direction de la fen^etre, par laquelle on apercevait la silhouette pittoresque du Casque-de-N'eron, mais `a cette heure de la journ'ee, la montagne 'etait plong'ee dans l’ombre et semblait une vraie tache noire se d'etachant sur le fond tr`es pur du ciel.
L’instituteur n’avait pas soulev'e `a nouveau le probl`eme, se r'eservant d’attendre les 'ev'enements pour d'ecider s’il devrait ou non lever la punition qu’il avait donn'ee pour le dimanche suivant `a Michel et au petit Louis F'erot.
Il avait, avant de venir `a l’'ecole, interrog'e quelques personnes `a propos de la soi-disant apparition, et il avait recueilli les avis les plus divers.
Certaines gens avaient hauss'e les 'epaules, lui demandant s’il 'etait fou. Un tonnelier, devant lequel il passait tous les jours, avait d'eclar'e que la chose 'etait impossible, qu’il connaissait la montagne comme sa poche, qu’aucun g'eant ne l’avait jamais habit'ee, et qu’il n’y en aurait jamais !
Cependant, un des contr^oleurs des tramways 'electriques qui vont de Grenoble au pont de Chaix, avait, par contre, assur'e de la facon la plus affirmative, que la veille, en effet, quelques instants avant quatre heures, il avait apercu quelque chose comme une forme humaine gigantesque qui se profilait au sommet du Casque-de-N'eron…