Шрифт:
Une autre impression, bien autrement amie et restaurante avait 'et'e celle-ci: le jour m^eme de mon d'epart, deux heures avant de monter en voiture, le sort a eu la tr`es aimable attention de me faire parvenir ta lettre du 3 de ce mois. Elle arrivait `a point, [26] car l’attente commencait `a tourner `a l’inqui'etude, et d’ailleurs j’avais besoin d’une r'ecompense pour les 3 jours d’horrible existence que j’allais passer enferm'e dans la caisse de la diligence. Cette lettre fut donc la tr`es bien venue, et bien qu’elle fut, ne t’en d'eplaise, une des plus fra^iches et des plus calmes que tu n’eusses jamais 'ecrites, telle est n'eanmoins l’horrible partialit'e du coeur humain que je sentais, en empruntant un chiffon du papier, qu’il m’'etait plus cher que tout ce que je laissais derri`ere moi. Et cependant c’est un monde bien uni, bien sympathique que celui que je quittais. Les adieux de mes bons vieux ont 'et'e des plus tendres, et ceux de ma m`ere en particulier m’ont 'et'e presque p'enibles. Un certain degr'e de sensibilit'e maintenant, presque dans la vieillesse, devient un contresens. Toute la famille m’a accompagn'e jusqu’au bureau des diligences, et l’apparition de ma m`ere dans un pareil endroit 'etait un fait sans pr'ec'edant et sans analogue dans sa vie. Je n’ai pas besoin de te dire que dans la matin'ee du jour de mon d'epart qui 'etait un dimanche il y a eu apr`es la messe le Te Deum oblig'e, suivi d’une visite dans une des chapelles les plus r'ev'er'ees de Moscou, o`u se trouve une image miraculeuse de la Ste Vierge d’Ib'erie. En un mot, tout c’est pass'e dans la forme de la plus stricte orthodoxie. Eh bien, pour qui ne s’y associe qu’en passant, pour qui peut en prendre `a son aise, il y a dans ces formes, si profond'ement historiques, il y a dans ce monde russo-byzantin, o`u la vie et le culte ne font qu’un, et si vieux que Rome elle-m^eme, compar'e `a lui, sent quelque peu d’innovation, il y a dans tout cela, pour qui a l’instinct de ces choses, une grandeur de po'esie incomparable, une grandeur telle quelle subjugue l’inimiti'e la plus acharn'ee, car au sentiment de ce pass'e, d'ej`a si vieux, vient fatalement s’ajouter le pressentiment d’un avenir incommensurable. Ce sera un 'eternel regret pour moi que de n’avoir pas te faire voir Moscou. Comme ta nature, la plus intelligente des natures humaines, aurait vite et bien compris ce qu’il y a dessous. — Mais pour changer de ton, parlons un peu des affaires personnelles `a mon ch'etif individu. Me voil`a `a P'etersbourg, quelque peu pendu dans le vague de mes projets, car, `a bien consid'erer les choses, je ne vois pas ce que j’ai `a chercher ici, sinon un p<asse>port pour l’'etranger. Demanderai-je ma r'eint'egration au service, en me faisant attacher de nouveau `a la l'egation de Munic. Mais ce serait l`a, `a mon sens, une chose absurde, car ce serait de la d'ependance accompagn'ee de quelques-uns de ses inconv'enients et sans aucune de ses compensations. Je sais que c’'etait l`a le d'esir de S'ev'erine, tout comme c’est aussi l’avis de mon fr`ere. Mais ni l’un, ni l’autre ne m’ont convaincu. Le fait est que ce qui pourrait me convenir dans le service, je ne suis plus en droit de le demander, et que tout ce qui n’est pas cela ne ferait qu’entraver ma position au lieu de l’am'eliorer.
26
1 слово утрачено, бумага порвана под нажимом пера.
D’autre part, vivre ici dans l’attente de quelque coup favorable du sort serait aussi absurde que de se mettre `a sp'eculer s'erieusement sur les chances d’un gain `a la loterie. Je n’ai d’ailleurs ni les moyens, ni surtout l’envie de m’'eterniser ici `a attendre ce miracle. Je suis donc r'esign'e `a ne tirer d’autre profit de mon voyage `a P'etersb<ourg> que d’essayer de r'egulariser ma d'emission et puis aussit^ot apr`es je demanderai un p<asse>port pour l’'etranger. Mais le mal est que m^eme pour r'ealiser ce programme si modeste, je n’ai pas sous la main les interm'ediaires dont j’aurais besoin. Les Kr"udener sont `a P'eterhoff, o`u je compte aller les voir demain ou apr`es-demain. La Gr<ande>-Duchesse Marie de L<euchtenberg> qui y est aussi, n’est pas encore relev'ee de couches et de plus, dans l’affliction et les larmes par suite de la mort de sa fille a^in'ee*. Pauvre jeune femme. C’est le jour m^eme de l’enterrement de son enfant, le 10`eme apr`es ses couches qu’elle a appris par l’Emp<ereur> que l’enfant 'etait mort. Je parie, ma chatte, que ta pens'ee et la mienne se sont rencontr'ees sur le m^eme sujet, en apprenant cette jeune mort.
L’impatience d’'ecrire commence `a me gagner. J’abr`ege et je finis. Je ne puis ni pr'etendre, ni attendre. Et cependant, je le sais, de retour `a Munic j’aurais des remords, comme si j’avais manqu'e la fortune d’un Roi. Et cependant le voyage n’aura pas 'et'e st'erile, puisqu’il m’aura valu, selon toute probabilit'e, de 10 `a 12 m<ille> de rente. Et `a ce sujet je ne comprends pas ton raisonnement. Comment peux-tu pr'ef'erer l’ancien ordre des choses, c’est-`a-d<ire> rien, au nouvel arrangement. Et comment aurais-je pu 'eviter la d'ependance, o`u je me trouve fatalement plac'e vis-`a-vis de mon fr`ere, `a moins de m’'etablir `a la campagne pour y servir mes affaires moi-m^eme. D’ailleurs puis-je s'erieusement le supporter capable de me voler ma part d’un bien qui nous a 'et'e donn'e en commun? Et quel autre arrangement aurais-je pu sugg'erer?
Ici, `a P'etersbourg, je me suis retrouv'e en plein Munic dans la diplomatie, Colloredo, Colobiano, Cardenos, le spongieux Waechter, Otterstedt*, etc. etc. Et hier `a un grand bal `a 7 lieues de la ville et o`u j’ai 'et'e condamn'e `a rester jusqu’`a 4 h<eures> du matin, gr^ace au chemin de fer — j’ai retrouv'e la jolie Mad. Koutousoff, toujours maigre et jolie, la ci-devant Mlle Poltavtzoff et cette grosse Comtesse Koutaissoff* que tu as si peu go^ut'ee `a G^enes et qui maintenant s’est affectueusement enquis de tes nouvelles. Les r'eminiscences de l’Europe surgissent ici `a chaque pas, et cela produit une illusion d’optique qui trompe sur les distances. La m^eme date
Peste soit des 'ecritures! Quelle absurde mystification que les 'ecritures! et qu’il devait ^etre et niais, et lieu commun, et brumeux, le premier qui s’est avis'e de pr'etendre qu’on parlait en 'ecrivant. C’est comme si on pr'etendait faire un voyage de long cours, en sautant `a cloche-pied. Voil`a que j’ai 'ecrit quatre grandes pages, sans te dire un seul mot qui m’int'eress^at, moi, c’est-`a-d<ire> sans te dire un seul mot qui e^ut rapport `a toi. J’ai calcul'e le jour, o`u je quittais Moscou, que ce jour-l`a m^eme, c’'etait le 20 ao^ut, tu arrivais `a Munic. Ah, quand viendra cet autre jour, o`u tu verras ma chienne de figure surgir inopin'ement devant toi? Sache, ma bonne amie, que l’absence m’exc`ede au dernier point, qu’il y a longtemps que je ne t’ai vue et que je me sens tr`es mal `a cette privation. Je te dis cela avec l’abandon le plus complet de ma dignit'e, car je sais bien qu’`a l’heure qu’il est je ne puis plus compter sur ta r'eciprocit'e. Je le sais. Je le sens. — Mais n’importe. Je suis trop vieux pour recommencer `a aimer — et bon gr'e, mal gr'e, il faut que je m’habitue `a me contenter d’une affection m^eme partag'ee. On n’est plus digne d’autre chose. Quant `a moi, vois-tu? Pour ^etre enti`erement vrai, je dois te dire qu’il n’y a que toi que j’aime v'eritablement au monde, tout le reste n’est qu’accessoire, tout le reste c’est un dessus de moi, tandis que toi, c’est moi-m^eme, et cette affection n’est si vraie que parce qu’elle est de l’'ego"isme tout pur.
Ainsi, en lisant ta derni`ere lettre, o`u rien ne trahit le malaise de la privation, le souvenir de tes lettres d’autrefois est venu me saisir `a la gorge, et j’ai parfaitement compris ce qu’'eprouve un vieillard, en retrouvant par hasard son portrait de jeune homme. — Le temps! Le temps! Ce mot r'esume tout.
Ma chatte ch'erie, tu as beau me rassurer sur ta sant'e! Je ne saurais m’y fier aussi longtemps qu’il peut ^etre question de cette sacr'ee ankylose. Eh bien? Et ton projet d’aller consulter les m'edecins de Paris? Y persistes-tu? Ou n’'etait-ce qu’une boutade? J’attends sur tout cela des r'ev'elations compl`etes dans ta premi`ere lettre que j’aime `a supposer tr`es proche du terme de ton voyage. C’est `a Stieglitz, n’est-ce pas, que tu l’as adress'ee.
Quant `a moi, encore une fois, je ferai tout mon possible pour partir d’ici au plus t^ot, et j’esp`ere que ce sera dans une quinzaine de jours. Si d’ici-l`a je suis converti de tes lettres, je te promets de prendre la voie de terre, sinon j’irai par L"ubeck.
Embrasse les enfants. J’embrasse Marie — t^ache de lui faire comprendre que je m’attends `a mon arriv'ee `a ^etre salu'e par elle par un petit fonds de phrases francaises. Je me plais `a croire Anna `a l’heure qu’il est aussi sereine qu’elle peut le souhaiter et je me repr'esente Dimitri aussi bien que tu le d'esires. — Ah, quand te verrai-je?
Милая кисанька, я пишу нарочно большими буквами — Петербург. 26 августа 1843 г., — чтобы заставить тебя буквально убедиться, насколько уменьшилось чудовищное пространство, разделяющее нас. Да, моя славная, я уже три дня в Петербурге, в настоящем европейском потоке, вновь среди его гула и шума, среди которого я даже могу различить слабенький звук маленькой Казимиры. Не правда ли мило? Ты не поверишь, как приятно на расстоянии в 300 верст почувствовать Казимирино присутствие. Это дружеское воспоминание, от которого повеяло теплом, пришло ко мне благодаря любезному Карденосу.